Nous ne pouvions r�ver mieux ! Le rendez-vous qu�on vient de prendre n�aura pas lieu dans un bistrot chic de Paris ni dans une grande galerie qui regroupe ses tableaux. Non plus dans les locaux du quotidien communiste fran�ais l�Humanit� o� il travaille. Mustapha Boutadjine, l�artiste graphiste, nous invite � d�couvrir son atelier. Un espace intime que seuls quelques amis proches ont eu le privil�ge de d�couvrir. On se croirait dans une ancienne b�tisse coloniale du Vieil- Alger. Lousine est aussi l�espace que se partagent plusieurs artistes alg�riens comme Cheikh Sidi Bemol, groupe Gnawi et autres. L�atelier de Boutadjine est au premier �tage. Il fallait traverser un couloir tr�s serr�, monter des escaliers �troits pour y acc�der. Notre surprise fut grande lorsque nous d�couvrons l�endroit. Notre regard est �tourdi � la vue de ces tableaux g�ants sur lesquels nous reconnaissons les visages familiers des hommes et des femmes r�volutionnaires, qui ont laiss� leurs empreintes sur le registre du combat d�mocratique, social et populaire � travers les diff�rents continents. Rang� dans un ordre harmonieux et convivial, l�atelier du graphiste contient la touche du designer et architecte qu�il a �t� autrefois. Nos pas suivent notre regard et l�artiste se met, sans attendre, � pr�senter �ses idoles�. Nous entam�mes ainsi un voyage � travers l�histoire de chaque personnage, fragment�e dans chaque bout de ce papier d�coup� des magazines f�minins, tels que Clara, Elle. C�est un art distingu� dans son genre, que celui auquel se d�voue Mustapha Boutadjine. Entassant dans un coin de son atelier des quantit�s de magazines invendus, r�cup�r�s chez les buralistes, chez des amis, ou dans des r�dactions, l�artiste d�coupe avec ses mains et avec beaucoup de soin les pages, et pas n�importe comment. Il fait attention � prot�ger les couleurs, pour mieux les placer sur ses �uvres. C�est bien qu�on puisse trouver sur les traits de ses idoles d�autres visages d�artistes, extraits des revues. D�veloppant un profond sens de contemplation et d�observation que l�on ressent d�ailleurs sur l�expression de son visage, sous ses grosses lunettes, l�artiste s�attache � donner naissance, � chaque fois, � des images expressives pleines de sens. �Mon bonheur s�accomplit dans chaque rencontre avec mes personnages ou des membres de leurs familles�, confie-t-il. Loin d��tre une passion, le collage, de l�avis de Mustapha, est en rendez-vous avec l�histoire, avec les causes nobles de l�humanit�. �Quand je fais revivre un militant des droits de l�homme sur une toile, c�est son engagement qui est ressuscit�, dit-il. �Sauvegarder leur m�moire est de ma part une reconnaissance � tout ce que ces hommes et femmes ont apport� � l�humanit�.� Mustapha Boutadjine obtient son premier dipl�me � l�Ecole des beaux-arts d�Alger en architecture d�int�rieur (1974), suivi d�un deuxi�me dipl�me en design industriel (Paris 1978) et d�un DEA en esth�tique et sciences des arts. Ce c�t� �esth�tique� de l�artiste ne fera cependant pas de lui un �tre docile et retir�. Boutadjine s�affirme et s�engage dans le combat d�mocratique en Alg�rie. Il s�affiche par ses id�es et id�aux qui d�ailleurs le men�rent � l�exil au d�but des ann�es 1990, au lendemain des �v�nements d�Octobre 1988, sous la menace des int�gristes. C�est � partir de la rive nord de la M�diterran�e que le d�fenseur des droits humains combat les injustices, s�insurge contre la mis�re, le fanatisme et la pauvret�. �America Basta�, ou encore �Black is toujours beautiful� sont les intitul�s de ses deux derni�res expositions qui ont sillonn� les plus c�l�bres galeries d�Europe, d�Am�rique et d�Afrique. Avant de retracer les visages de Sacco et Vanzetti, les deux architectes italiens condamn�s et ex�cut�s sur la chaise �lectrique en 1927, ou encore ceux des Rosenberg, ce couple juif, militant communiste am�ricain accus� d�avoir livr� les secrets de la bombe atomique aux savants sovi�tiques et condamn� � mort pour espionnage au profit de l�URSS� Mustapha Boutadjine a consacr� toute une �uvre pour ceux qui ont fait m�rir en lui le sens de la libert�, de l�engagement et de la justice. Eux, sont Ali la Pointe, Frantz Fanon, Henri Alleg, Kateb Yacine, Louis Aragon, Mehdi Ben Barka, Federico Garcia Lorca et bien d�autres. Mustapha porte l�Alg�rie dans son �me. Mais il porte aussi fort la Palestine, l�Irak, le Liban et tous les autres pays d�chir�s par les guerres et g�nocides, qu�il reprend d�ailleurs dans ses �uvres. En �voquant avec lui l�Alg�rie, le regard de Mustapha se perd dans le vide. Il a mal pour sa patrie, pour ce qu�elle est devenue, lui qui a connu l�Alg�rie fleurie par ses id�es et ses hommes. Les ann�es de terreur ont creus� un foss� dans le c�ur de tous les Alg�riens y compris ceux en exil. Ceux qui r�vent de revenir, mais qui sont pris de d�ception d�s qu�ils sont l�. Boutadjine a organis� l�ann�e derni�re une exposition � la Biblioth�que nationale El Hamma, qui a suscit� un engouement impressionnant du public. Mais il faut dire que la r�ussite de celle-ci relevait du d�fi. Actuellement, il expose �America Basta� au caf� anim� La mer � boire, � Paris. Il offre au public l�image des exactions de l�administration am�ricaine.