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CHRONIQUE D�UN �T� M�DITERRAN�EN
IX. Tlemcen n�oublie pas�* Par Ma�mar FARAH [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 31 - 07 - 2008

Dans le temps, pour aller d�Oran � Tlemcen, on traversait de pittoresques villages aux toitures rouges. La route serpentait au milieu d�opulents vergers et de g�n�reux vignobles donnant les meilleurs crus de l�ouest. Cependant, ce matin, on ne passera pas par l�ancienne voie ! Une nouvelle autoroute contourne la grande Sebkha d�Oran par le nord, s�enfon�ant dans une terre cl�mente mais qui n�arrive toujours pas � retrouver sa fertilit� d�antan. D�ailleurs, beaucoup de citoyens de la r�gion disent que l�agriculture a nettement d�p�ri depuis le d�part de la main d��uvre marocaine, chass�e en 1975 par le gouvernement alg�rien, � la suite de la marche verte et de l�occupation du Sahara occidental par le Maroc.
En fait, beaucoup de ces travailleurs, ainsi que, parfois, leurs parents, �taient n�s ici. Bien que n�ayant pas obtenu la nationalit� alg�rienne, parce que c��tait difficile de l�avoir ou tout simplement parce qu�ils n�avaient pas pens� � la demander, ces travailleurs, ainsi que d�autres, propri�taires, commer�ants, etc. se consid�raient comme des Alg�riens d�origine marocaine. La majorit� d�entre eux n�avait jamais visit� le royaume ch�rifien. Ils �taient parfaitement int�gr�s � la soci�t� alg�rienne et n�avaient jamais pens� qu�il viendrait un jour o� on les chasserait de ce pays qu�ils consid�raient comme le leur. Jusqu�� aujourd�hui, beaucoup de ces exil�s continuent de porter, dans leur chair, les traces de ce terrible moment o� ils ont �t� arrach�s, par la force, � leur terre natale, quittant leurs maisons, leurs quartiers, leurs �coles et ces villes qu�ils ont tant aim�es. Si je parle de cet �pisode douloureux, c�est parce que, en d�cembre 1975, je me trouvais du c�t� de Maghnia et, alors que personne ne me demandait de le faire, j�avais commis un papier odieux sur ces d�parts tragiques, en insistant sur le fait que ces familles voyageaient dans des� cars climatis�s ! Ce qui ne change rien � mes convictions de l��poque. Le socialisme est le seul syst�me en mesure de prot�ger les plus d�munis et d�offrir leur revanche aux damn�s de la terre. Les martyrs ne sont pas morts pour que les uns se pavanent dans un luxe outrancier alors que la majorit� ploie sous le poids �crasant de la pauvret� et de l�exploitation ! Aujourd�hui m�me, je continue de croire que les options de l��poque auraient pu nous mener � la construction d�une nation puissante et prosp�re, avec un niveau de vie qui n�aurait rien � voir avec la r�alit� am�re de l�Alg�rien de 2008. Mais, la chasse aux fr�res marocains restera une tache noire dans l��uvre de Boumediene. J�ai eu r�cemment l�occasion de demander pardon � ces exil�s et ils ont �t� tr�s nombreux � me r�pondre en me disant qu�il m�avaient disculp� et que la meilleure mani�re de reconstruire l�avenir sur des bases nouvelles �tait de reconna�tre ces erreurs et de permettre � ces familles de retrouver leurs villes et leurs familles divis�es par la trag�die (*). Je ne sais pas ce qu�en pensent aujourd�hui les responsables alg�riens, mais il me semble improbable qu�ils s�engagent dans cette voie qui est celle de la lucidit� et de l�espoir, la meilleure mani�re de se r�concilier avec ces enfants d�Alg�rie auxquels on a vol� pass� et convictions. Beaucoup d�entre eux avaient tant donn� � la lutte de Lib�ration nationale ! Bien s�r, il s�en trouvera toujours des lecteurs qui me r�pondront que les autorit�s marocaines ont parfois fait pire avec les Alg�riens. Mais, dans le cas que j�ai cit�, il s�agissait de Marocains sur le papier seulement. C��taient aussi des Alg�riens de c�ur et d�adoption et on n�avait pas le droit de les chasser d�une mani�re aussi brutale (et m�me s�il s�agissait de Marocains venus du Maroc, la chose ne serait pas justifi�e). D�autant plus qu�� l��poque, face � une monarchie qui appauvrissait et terrorisait son peuple, nous levions l��tendard du Maghreb des peuples, de la R�volution et de la promotion de l�homme ! Ces id�es qui se bousculaient dans ma t�te, m�avaient fait oublier le charme du voyage. Dommage, car apr�s A�n T�mouchent, que nous laissons � notre droite, le climat se d�grade rapidement et aux gouttelettes �parses de tout � l�heure, succ�dent brume et pluies violentes. Nous montons vers le plateau de Tlemcen. Revoil� Bensekrane, Remchi et tant d�autres localit�s que nous avions sillonn�es jadis en long et en large, �t� comme hiver, et o�, � chaque fois, nous avions fait le plein de connaissances. Rencontres fraternelles autour d�un plateau o� tr�nait, imp�rial, le couscous au mouton suivi d�un bon verre de ce th� savoureux que l�on sert � la marocaine, c�est-�-dire tr�s l�ger mais fortement aromatis�. Nous approchons de Tlemcen et je constate, avec plaisir, les grands changements apport�s � la r�gion. Un a�rodrome moderne a vu le jour avec une piste qui peut recevoir les gros avions, un p�le universitaire de grande importance, � port�e r�gionale, a �t� �rig� dans la commune de Mansourah et les nouveaux quartiers poussent comme des champignons. Le r�seau routier extra-muros et intra-muros est impressionnant. Sur le plan industriel, il faut rappeler que Tlemcen �tait promue dans les ann�es soixante-dix au rang de capitale de l��lectronique. Son m�gaprojet de fabrication de t�l�phones et d�appareils assimil�s a longtemps donn� � la r�gion les allures de ruche fourmillante de vie. Et puisque, de nos jours, nous sommes submerg�s de gadgets bricol�s en Chine, ces appareils t�l�phoniques, entre autres, qui se d�t�riorent au bout de quelques mois, rappelons � tous les oublieux la qualit� et la solidit� de ces t�l�phones tlemc�niens conseill�s par tous les connaisseurs (le fameux SATAI, notamment). La capitale des Zyanides �tait aussi connue pour son immense usine de soierie naturelle, projet faisant partie d�un vaste plan agroindustriel int�gr� qui avait permis d�introduire, pour la premi�re fois en Alg�rie, la culture du vers � soie � grande �chelle ! Cette industrie publique et performante, �uvre de cadres et d�ouvriers aux retraites d�risoires aujourd�hui, �tait orient�e vers la satisfaction des besoins locaux avec des objectifs clairs pour l�exportation. Cette option du �compter-pour-soi� a �t� brutalement stopp�e en 1987 par la politique de la restructuration, avant d��tre enterr�e par l�ultralib�ralisme. Les solutions de partenariat sont rarement profitables au pays. L�entreprise su�doise qui devait prendre en charge le complexe trouvait que l�Alg�rie �n��tait pas fiable� et obligeait nos cadres � se d�placer en Tunisie pour les r�unions du conseil d�administration. Pourquoi s�ent�ter � privatiser ou � brader nos grandes unit�s industrielles bien portantes ? La question m�rite d��tre pos�e � M. Temmar dont le sourire s��claire � chaque fois que les investisseurs font des promesses. Que vont-ils nous apporter concr�tement ? Faire travailler les Alg�riens ? Ce n�est pas si s�r. Les Chinois pullulent et avec ces investisseurs du Golfe qui adorent l�exploitation des Indiens et des Pakistanais, la situation du march� du travail va empirer. Dans les monarchies du p�trodollar, et notamment aux Emirats, il n�y a aucun code de travail, ni droit syndical, ni salaire minimum, ni temps de travail l�gal, ni protection sociale, etc. Voil� ce qui fait plaisir � M. Temmar et � ses invit�s ! Pourtant, ces Alg�riens qu�on traite aujourd�hui de �bras cass�s� avaient d�montr� leur formidable capacit� au travail, leur rigueur et leur discipline � l��poque o� ils �taient ma�tres de l�outil de production. Et puisque nous sommes � Tlemcen, rappelons � ceux qui nous insultent du haut du pouvoir qu�une entreprise �trang�re, la �Standart Electrica� avait calcul� que le temps de fabrication du m�me appareil t�l�phonique �tait de 23 minutes en Espagne, alors qu�il n��tait que de 17 minutes � Tlemcen ! Les produits de pacotille qui inondent nos march�s ne feront jamais oublier aux Alg�riens que le t�l�viseur ENIE de Bel-Abb�s reste sans �gal et que les cuisini�res de l�Eniem de Tizi Ouzou sont les plus solides ! Les moissonneuses Claas de Bel-Abb�s sont les pr�f�r�es des agriculteurs, ainsi que les tracteurs Deutz de Constantine ! Les solides et �l�gants robinets de BCR sont copi�s et introduits par conteneurs entiers ! Cette politique de bradage et de fermetures en s�rie de nos usines a port� un coup d�cisif aux ambitions l�gitimes de la R�volution alg�rienne dans le domaine industriel, apr�s avoir perverti le r�le strat�gique de l�agriculture, transformant les champs fertiles de jadis en terrains o� r�gnent la past�que et les cultures de seconde zone. Et si la facture alimentaire augmente vertigineusement d�ann�e en ann�e, ce n�est certainement pas la faute � Boumediene qui est mort voil� pr�s de trente ann�es !
M. F.
(*) : On raconte qu�un jeune homme, de retour du Service national, n�avait pas retrouv� les siens� Personne, parmi les voisins, n�avait os� lui dire que ses parents avaient �t� chass�s de leur domicile et emmen�s de force au Maroc. Je n�oublierais jamais aussi le d�part pr�cipit� de notre ami Houari, chef de la rubrique culturelle d� El Cha�b. Il a �t� expuls� au mois de d�cembre 1975, comme tous les Marocains. C��tait un opposant au roi et un socialiste convaincu. On ne sait pas ce qui lui est arriv� l�-bas. J�ai honte pour mon pays et je crois qu�il viendra le jour o� nous devrions rendre compte � l�Histoire. Je pense m�me qu'il est temps de rouvrir ce dossier douloureux.
* Chronique parue au mois de f�vrier 2008


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