Par Arezki Metref [email protected] Les routes de Kabylie sont jonch�es de canettes de bi�re et de bouteilles en plastique. Entre Tizi-Ouzou et Takhoukht, il n'est pas un centim�tre carr� qui ne soit pollu� par ces vilains totems de la modernit�. Si �a se trouve, les jeunes et les �demi-jeunes� qui se shootent � qui mieux mieux � la petite mousse en semant les immondices in situ seraient les premiers � d�gainer les tirades enflamm�es sur la grandeur de tamazight et l'exemplarit� de la Kabylie. On a envie de citer � leur endroit cette phrase de Sacha Guitry : �Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour�. Si tu aimes la Kabylie, laisse la propre. Point barre ! L'�vidence est, bien entendu, extensible � toute l'Alg�rie et, au-del�, � toute la plan�te. Dans les villages de Kabylie, les anciens sont atterr�s par la soudaine disparition du civisme et de la discipline de groupe, valeurs structurelles. D�j�, ils se lamentent sur les temps anciens et �voquent avec nostalgie l'�poque o� la soci�t� villageoise �tait suffisamment puissante pour imposer � tout individu les r�gles sociales qui lui font tenir l'�chine droite depuis des mill�naires. Comme par un s�isme que l'on n'aurait pas senti venir, en quelques ann�es, celles du terrorisme, les piliers sur lesquels s'appuyait depuis toujours la Kabylie se sont effondr�s, entra�nant avec eux la coh�sion, voire l'homog�n�it� qui �tait la caract�ristique de la Kabylie et contre laquelle pas plus la domination coloniale que celles, nombreuses, qui l'ont pr�c�d�es, n'ont pu �branler. Sans conteste, il y a l� de la mati�re pour les sociologues. Ces derniers devraient d�montrer assez ais�ment que, dans la brusque m�tamorphose sociale de la Kabylie, divers facteurs entrent en jeu. Les manipulations du pouvoir politique central pour d�truire par la corruption des m�urs la citadelle qui lui tient t�te sont certainement pr�dominantes mais l'explication de ces changements n'y est certainement pas r�ductible. D'autres facteurs se combinent pour conduire ces mutations v�cues sous forme de r�gression. Les changements induits par la mondialisation n'�pargnent pas plus la Kabylie que les coins les plus recul�s du monde. L'uniformisation vestimentaire � l'�chelle plan�taire est arriv�e jusqu'ici. Portant le pantalon corsaire ou le djelbab, les jeunes gar�ons et filles de Kabylie ressemblent d�sormais, en bien comme en mal, � tous les jeunes du monde. Un ancien observe que le d�clin commence avec la chute du mouvement des arouchs. Depuis, la Kabylie serait devenue une sorte d'objet trouv� qui ne m�rite l'attention de personne, surtout pas celle des pouvoirs publics. N'importe qui y fait ce qu'il veut, au m�pris de toute autorit�. Cette derni�re brille par son d�dain de la population. Un petit exemple, significatif. Pour se rendre du centre d'Azazga vers Ta�zivt, un petit village � l'or�e de la for�t de Yakouren, il faut passer devant un cantonnement des forces de s�curit�. Pour les raisons que l'on comprend, la route est coup�e. Mais aucune d�viation n'est pr�vue. C'est comme si la voie publique �tait un espace privatif qui n'appartient pas au public. En fait, on a l'impression que l'Etat est r�duit � une force d�coupl�e de la population dont les int�r�ts sont contradictoires avec cette derni�re. Dans l'exemple cit�, le message est clair : au nom de la pr�vention, l�gitime, contre les attentats visant les forces de s�curit�, on coupe la route aux usagers. Jusque-l�, cela reste �normal�. L� o� cela ne l'est plus, c'est dans la cons�quence de ce raisonnement qui d�livre � peu pr�s ce sens : d�brouillez-vous ! Les habitants du village de Zoubga, � Iferhoun�ne, ont compris depuis belle lurette qu'il faut compter sur soi-m�me et sur personne ni rien d'autre. Par n�cessit� autant que par principe, ils le font, et de quelle mani�re ! Le r�sultat est �patant. Un village coquet, d'une propret� impeccable, o� l'architecture des nouvelles maisons n'insulte pas le charme du village ancien. Par une combinaison entre le comit� de village et des associations de jeunes, l'organisation du village arrive � un niveau de sophistication tel qu'on a pu cr�er une cr�che et une maison de jeunes, �uvre des habitants euxm�mes, dignes d'une grande ville, qui a du go�t. On devrait envoyer les gestionnaires de l'Etat s'instruire � Zoubga : ils apprendront certainement comment on r�gle les probl�mes sociaux de la population en concertation avec elle. A Agouni-Ahmed, tadart des Ath Yani, les journ�es th��trales de plein air d�butent. Elles sont le fruit de la pers�v�rance des jeunes de l'association Azar. Pour la douzi�me �dition de cette manifestation, les jeunes d'Agouni- Ahmed, encadr�s par quelques anciens qui passent la main, continuent � administrer la preuve d'une vitalit� culturelle qui, dans l'autonomie par rapport aux appareils de l'Etat, peut faire des merveilles. Pour autant, on ne devrait pas les laisser se coltiner seuls les mille et un petits probl�mes de rencontres ambitieuses. L'Etat devrait mettre la main � la poche pour promouvoir ce type de manifestations imagin�es et r�alis�es avec trois fois rien par des jeunes qui nous disent par l� que la culture vaut qu'on se batte pour elle autant que pour l'eau, le logement, le travail et le pain. Terrain de toutes sortes de manipulations, la Kabylie semble prise dans un processus de transformations sociologiques o� le bon grain et l'ivraie sont, pour le moment, entrem�l�s. Mais, comme le dit avec feu ce citadin revenu s'installer dans son village natal en face du Djurdjura apr�s plus d'un demi-si�cle de ville, ils peuvent tout d�naturer, sauf la splendide beaut� des matins kabyles.