La m�canique de la d�flation d�crite par l'�conomiste Irving Fischer ne semble plus possible � prescrire � la crise qui secoue les �conomies occidentales. Dans La th�orie des grandes d�pressions par la dette et la d�flation, paru en 1933, Irving Fisher est le premi�re � tirer de la grande d�pression de 1929 l�enseignement majeur qu�elle avait pour origine un surendettement des agents non financiers (surtout les entreprises). Fischer met en perspective des facteurs endog�nes � l'�conomie g�n�rant une crise cumulative et l'importance de l'intervention de l'Etat pour emp�cher la crise de se d�velopper. Avec cette th�orie, Fischer s'inscrit, de nos jours, � l'encontre de la pens�e mon�tariste, par le fait qu'il rejette l'hypoth�se de neutralit� de la monnaie. Dans le sc�nario lib�ral, la d�flation procure autant d�avantages que d�inconv�nients : gr�ce � la baisse des prix, le pouvoir d�achat des consommateurs augmente, ce qui a pour effet m�canique de stimuler la consommation et de relancer la production des entreprises. Une relance par la demande ou le pouvoir d�achat. Ce levier de relance est incontestable, mais l�autre face de la m�daille d�flationniste, c�est le poids suppl�mentaire qu�elle fait peser sur les agents endett�s. Lorsque les prix baissent, le poids des dettes s�alourdit. Appara�t alors le second visage de la d�flation : c'est l'apurement des dettes qui fait baisser les prix. Les op�rateurs surendett�s liquident des actifs � bas prix ; le cr�dit se rar�fie et l'argent manque dans les tr�soreries, comme c�est le cas dans nombre de PME. Pour rentrer de l'argent, les entreprises cassent les prix. On en est � ce point. Si la m�canique n'est pas cass�e, la suite est connue : faillites en cascade, licenciements massifs, recul de la production et nouvelles baisses des prix. Cons�quence : la dette augmente et son fardeau p�se de plus en plus lourd. D�o� le risque de blocage de l'�conomie. La d�flation tue la politique mon�taire classique : m�me � un taux symbolique, l'emprunt co�te trop cher quand les prix baissent. Intervient alors le rem�de par l�inflation. Comme tout poison, l�inflation secr�te � bonne dose certains aspects positifs. Si. L�inflation n�est pas un ph�nom�ne enti�rement n�gatif. Par exemple, on peut penser qu�en p�riode d�inflation, les m�nages anticipant les hausses futures de prix consomment plus, puisqu�ils savent que les biens et services co�teront plus cher demain. L�inflation peut, de ce fait, soutenir temporairement la demande. Mais surtout l�inflation diminue le poids r�el des dettes. Ce ne sont cependant pas seulement ces quelques vertus th�oriques de l�inflation qui sont en passe de la r�habiliter comme alternative imm�diate � la d�flation. Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse �conomique aupr�s du Premier ministre fran�ais, n�a pas tort de croire que l'Am�rique est engag�e dans une politique inflationniste pour r�duire la dette publique et les gigantesques dettes priv�es issues de la bulle du cr�dit. Il attend des niveaux d'inflation de 10 % � 15 % par an aux Etats-Unis pour bient�t. Jacques Delpla a d�autant plus raison qu�une inflation de l'ordre de 10 % � 15 % sur cinq ans permettrait de r�duire la dette am�ricaine de 40 % � 50 %. Et ce seront les cr�anciers �trangers (Asiatiques surtout) qui paieront l'addition. Delpla explique alors que l'Europe va devoir r�agir � ce qui est d�j� de fait �une guerre mon�taire�. Au moment m�me o� il exprimait cette crainte, Adam S. Posen diffuse sur le site du Petterson Institute une �tude dans laquelle il s�en prend lui aussi � �certains observateurs (qui) ont commenc� � sugg�rer que la R�serve f�d�rale devrait annoncer aujourd'hui un objectif d�inflation�(*). Mais l�auteur reste sceptique : �Il ne faut pas s'attendre � beaucoup plus d'impact sur l'�conomie de l'une des mesures mon�taires les moins "orthodoxes"�. La baisse des anticipations d'inflation et la r�ticence � investir ou de pr�ter sont guid�s par �l�instinct animal� et l'�volution du march�. L��conomie entame ainsi un tournant qui fait perdre son latin � plus d�un expert avis�. La ma�trise de l�inflation et la stabilit� des prix qui figuraient, il n�y a pas si longtemps, au rang des r�gles draconiennes de l�orthodoxie mon�taire des banques centrales, ne sont donc pas aussi sacr�es. Il en d�coule que ce qui semblait �tre une vertu cardinale du lib�ralisme � plus pr�cis�ment l��chafaudage de l�autonomie des banques centrales � l��gard du pouvoir politique ou ex�cutif � tombe � l�eau. La priorit� semble �tre de donner vie � des plans de relance destin�s � fouetter une conjoncture �conomique structurellement pervertie par les mauvaises m�urs des march�s financiers qui lui ont jusque-l� servi de locomotive. On a longtemps cru que l�autonomie des banques centrales, mesur�e par le proxy que repr�sente le taux de turnover des gouverneurs, exer�ait un effet positif sur la croissance. Un autre effet attendu de cette autonomie : la ma�trise, la r�duction et la variabilit� de l�inflation moyenne. Dernier effet, et non des moindres : l�action sur les prix en vue de leur stabilit�. Etats et particuliers �tatsuniens associent ici leurs int�r�ts pour fixer les contours de ce que sera demain proche. Les dotations financi�res et les garanties de cr�dit consenties par l�Etat ont pour premier effet visible de lui transf�rer l'�norme dette des m�nages et des banques. Les plans de relance budg�taire vont propulser les d�ficits publics � des niveaux jamais atteints en temps de paix (11 % du PIB en 2009). La dette publique am�ricaine, 60 % du PIB avant la crise, pourrait bien se monter � 80 %, voire � 100 % du PIB � la sortie de la crise, sans compter le reste de dettes immobili�res priv�es. Les Etats-Unis sont actuellement pris au pi�ge inflationniste pour deux raisons majeures : 1. Ils sont r�ticents � rembourser leur dette. Plus exactement leurs dettes. Cela leur demande de payer davantage d'imp�ts pour absorber leur dette publique, avec un minimum de croissance et d'inflation, comme le fait toujours le Japon. Cette option est visc�ralement antinomique avec �l�homo americana� dont l��difice politique actuelle repose initialement sur une r�volte fiscale foment�e en 1773-1776, la fameuse Boston Tea Party. Plus pr�s de nous, le S�nat a rejet� le protocole de Kyoto en 2000 au motif qu'il entraverait le niveau de vie des Am�ricains. 2. Ne pouvant assumer le fardeau de leurs ambitions et de leur train de vie, il reste aux Am�ricains � ruser au moyen de l'�rosion de la dette par l'inflation. Parce qu�ils ne peuvent baisser les imp�ts tout en menant de front deux guerres (avec une pr�sence accrue en Afghanistan et l�occupation de l�Irak tant qu�un relais compradore stable n�est pas garanti), et tout en faisant face aux besoins d�alli�s en perte de vitesse (Isra�l, Arabie Saoudite) et � de nouvelles menaces d�Am�rique du Sud, ils n�ont d�autre alternative que le recours � une inflation significative. D�autant plus significative que les enjeux sont �normes : r�duire la dette publique h�rit�e de la guerre et les gigantesques dettes priv�es issues de la bulle du cr�dit. Dans un article publi� r�cemment par l' American Economic Review(**), Gauti Eggertsson, un jeune �conomiste de la Fed de New York, rappelle fort opportun�ment comment la fin de la d�pression en 1933-1934 fut enclench�e par un fort d�placement des anticipations de la d�flation vers l'inflation. Le tournant est constitu� par la fin de l'�talon-or et la d�valuation du dollar d�cid�s par Roosevelt, la fin de l'autonomie de la Banque centrale (la Fed), la relance de la cr�ation mon�taire pour permettre une reflation de l'�conomie, la hausse du d�ficit public de 9 % du PIB d�s 1934 (la dette publique augmenta de 25 % � 42 % du PIB en quatre ans !). La relance de l�inflation est pr�n�e par Roosevelt d�s avril 1933, avec pour objectif de retrouver le niveau des prix d'avant-crise. Un sc�nario absolument identique � celui qui se d�roule aujourd�hui sous nos yeux. A. B. (*) Adam S. Posen, Petterson Institute, Global Financial Crisis : An Inflation Target to Offset Deflation, 21 janvier 2009. (**) Gauti B. Eggertsson Great Expectations and the End of the Depression, American Economic Review, Vol. 98, No. 4, September 2008, pp. 1476�1516.