L'�crivain �gyptien Alaa Al Aswany s'est �mu qu�il y ait eu peu de tapage organis� autour de l'affaire du niqab provoqu�e par le patron d'Al-Azhar, Mohamed Sayed Tantaoui. Lors d'une visite � l'un des instituts de l'Universit�, ce dernier avait ordonn� � une �tudiante de se d�masquer en retirant son niqab. Il avait d'ailleurs joint le geste � la parole en arrachant lui m�me le morceau de tissu qui recouvrait le visage de la jeune fille. Loin de s'en tenir � cet acte d'autorit�, le Cheikh a cru devoir en rajouter et faire des commentaires injurieux et humiliants. �Si au moins tu �tais belle !� a-t-il remarqu� en d�couvrant le visage de la jeune fille, et il a ajout� : �Je connais la religion beaucoup mieux que ceux qui t'ont engendr�e !� On aurait pu s'attendre � un sursaut d'indignation, une r�action de rejet et de col�re devant le cynisme et le m�pris de la plus haute autorit� spirituelle de l'Egypte. Il n'y a rien de tout cela, puisque la soci�t� �gyptienne embrigad�e par les islamistes n'a retenu qu'un fait de l'incident : l'annonce de l'interdiction du niqab � l'universit�. �Comment peut-on oublier les �lections truqu�es, les gens r�duits � boire les eaux us�es, la faim et les tortures polici�res, pour se jeter � corps perdu dans la bataille du niqab, un faux d�bat qui profite seulement au pouvoir�, d�plore Alaa Al Aswany. On peut se demander si l'auteur de J'aurais voulu �tre Egyptien est toujours dans les m�mes dispositions proclam�es en titre de son livre. Il a des doutes, Aswany : est-ce que la soci�t� �gyptienne n'est pas subjugu�e par le pouvoir en place au point de s'y attacher et de perdre toute volont� de contestation � son �gard ? L'�crivain d�sesp�r� compare, en effet, la situation du peuple � celle des otages qui subissent le syndrome de Stockholm et se prennent d'affection pour leurs ge�liers. De fait, la question qui avait agit� l'Egypte nagu�re � propos du hidjab est revenue avec encore plus de force avec cet intitul� : �Le niqab est-il une obligation religieuse ou une coutume ?� Le mouvement des Fr�res musulmans, qui consid�re le passage du hidjab au niqab comme une progression normale vers la r�islamisation de la soci�t�, a conduit la protestation. Il y a m�me eu des manifestations �spontan�es� d'�tudiantes et de femmes en niqab r�clamant la �libert� de se voiler int�gralement. La pol�mique a donc enfl� aussi bien dans la rue que sur les plateaux de t�l�vision, opposant partisans et adversaires de l'interdiction. Une cha�ne priv�e a m�me charg� un de ses journalistes de se voiler int�gralement durant une journ�e et de se m�ler ainsi � la foule. L'op�ration a �t� un succ�s et les t�l�spectateurs ont pu suivre le reporter dans ses d�placements et ses �changes sans que la supercherie ne soit d�couverte. Que l'Egypte soit engag�e dans un vrai ou dans un faux d�bat, les �changes actuels nous ram�nent parfois � des ann�es, voire des d�cennies en arri�re, comme le constate l'hebdomadaire Rose-Al-Youssef. Pour rafra�chir sans doute les m�moires d�faillantes, la revue, fond�e par la f�ministe Fatma Al-Youssef, rappelle la surprenante histoire de la fatwa d'Al-Azhar concernant le travail des femmes. Apr�s la victoire de la r�volution en 1952, les nouveaux dirigeants d�cid�rent de se baser sur un d�cret religieux pour donner davantage de droits aux femmes d'Egypte. Ils s'adress�rent donc � Al-Azhar, et � leur grande surprise, la commission des fatwas r�pondit par un �dit instituant de fait l'interdiction de travailler pour les femmes. La fatwa fermait ainsi devant les femmes les portes de l'accession aux fonctions officielles et �lectives, comme le gouvernement ou le parlement. Elle s'appuyait sur l'argument selon lequel la Charia� r�servait ces fonctions exclusivement aux hommes depuis l'aube de l'Islam. Ce texte sign� par le pr�sident de la commission de fatwas de l'universit�, Abdelfattah Anani, se r�f�rait �galement � un hadith � l'authenticit� douteuse : �Malheur au peuple qui confie ses destin�es � une femme.� Bien s�r, le nouveau r�gime ignora cette fatwa et s'empressa m�me de changer la proc�dure de nomination des recteurs de l'universit�. Faut-il ajouter que ce hadith tr�s controvers� fait partie de la litt�rature de base du fondamentalisme musulman. Sur le th�me du d�tournement d'attention, notre confr�re Selim Azzouz choisit un ton plus d�tach� pour ne voir que des �crans de fum�e dans tous ces d�bats propos�s au peuple. Il admet, toutefois, que ces �bombes fumig�nes�, comme il les appelle, empoisonnent le climat de l'Egypte. Il �voque, tour � tour, les diversions que constituent les luttes de succession au sommet, la vie priv�e de l'opposant Aymen Nour ou les m�urs de sybarite de l'acteur Nour Ch�rif. Chroniqueur au quotidien londonien Al-Quds, Selim Azzouz se dit non concern� par le niqab. Il est pour la libert�, pour que celles qui veulent le porter le fassent et que celles qui n'en veulent pas soient libres de ne pas le faire. Seulement, il ne peut s'emp�cher �d'�tre submerg� par la terreur lorsqu'une femme enti�rement voil�e l'aborde dans la rue�. Il est vrai que le terrorisme islamiste utilise souvent ce genre d'accoutrement pour commettre ses attentats. Il sait, Selim Azzouz, que les tenants de l'Islam politique n'admettent pas de neutralit�, bienveillante ou non. Il a r�solu, alors, de fuir tous ces probl�mes en se consacrant aux cha�nes de t�l�vision qui ne lancent pas de fumig�nes. Il n'en a trouv� que deux, dit-il : la premi�re est la t�l�vision officielle qui diffuse en direct les r�unions du parti au pouvoir, avec Djamel Moubarek en vedette. Quand il est lass� de suivre les luttes, les compromis, les alliances entre la vieille garde et la jeune garde du parti, Selim Azzouz opte pour l'alternative Oum- Kaltoum. Il s'abandonne aux chants d'amours contrari�es de la diva de la chanson arabe, et c'est sur Rotana- Zaman. Une cha�ne du groupe Rotana propri�t� du prince saoudien Walid Ibn-Tallal. Ce dernier s'est improvis� fer de lance et vitrine de la modernisation du royaume wahhabite. Ce n'est que dans les bureaux de Rotana et des autres compagnies du prince Walid que les femmes saoudiennes sont d�voil�es et travaillent dans les m�mes bureaux que les hommes. C'est d'ailleurs au sein des soci�t�s de Walid Ibn Tallal que l'hebdomadaire Times est all� chercher des preuves de la modernisation de l'Arabie saoudite, sous la f�rule du roi Abdallah. Un sujet qui a fait bondir notre cons�ur Yusra Zahrane de l'hebdomadaire cairote Al- Fedjr. C'est sous ce titre r�v�lateur �L'Arabie saoudite montre ses cheveux, l'Egypte s'enlise dans la bataille du niqab�, qu'elle dit sa col�re contre l'injustice du sort. �L'Islam wahhabite saoudien nous a amen� la tradition du niqab mais il ne l'a pas reprise, dit-elle. Le niqab nous est venu d'Arabie saoudite, mais il n'y est pas retourn�.� Yusra Zahane tourne aussi en d�rision la �libert� dont se pr�vaut la ministre saoudienne de l'Education �qui ne peut m�me pas passer � la t�l�vision sans la permission de son mari�. Une ministre qui se conforme encore aux r�gles d'une soci�t� ferm�e. �Une soci�t� persuad�e depuis qu'elle existe qu'elle est en droit d'imposer ses valeurs � toutes les autres soci�t�s, et par tous les moyens possibles. Par quelle logique l'Arabie saoudite se pr�sente-t-elle � l'Occident comme l'Etat o� les femmes ont arrach� leurs droits. Ceci alors que l'Islam wahhabite a extirp� tous les germes d'un Islam mod�r� de toutes les soci�t�s arabes�, conclut Yusra Zahane. Vous croyez que les Saoudiens nous laisseront quand m�me quelques miettes de modernit� � grignoter quand ils seront rassasi�s ?