Sinc�rement, j'avais cru que l'affaire des minarets suisses allait refroidir un peu les passions et les pol�miques entre l'Egypte et l'Alg�rie. Avec ma connaissance des us et coutumes des deux r�gimes en la mati�re, je me suis laiss� dire que les Suisses allaient passer un mauvais quart d'heure. Je voyais d�j� se former spontan�ment une alliance sacr�e entre les ultras musulmans des deux camps contre les petits-suisses. J'avais oubli� que les caricatures danoises n'avaient pas remis en cause la foi aveugle des petits Arabes dans les �Kinder surprise �. Que dire alors des adultes, lorsqu'il ne s'agit plus d'�ufs en chocolat, mais de comptes en banque et d'int�r�ts cumul�s ? On s'interrogeait en Alg�rie sur le flegme soudain, et inhabituel, des dirigeants alg�riens face au d�cha�nement de violence verbale des officiels d'Egypte. D'aucuns se sont m�me livr�s � des sp�culations sur la nature de certaines relations bilat�rales, liant les mains aux uns et b�illonnant les autres. Des confr�res ont m�me soup�onn� l'existence d'un cadavre dans un des placards de la Ligue arabe r�serv�s aux secrets d'Etat. Pour r�sumer, on voulait nous faire croire � un gouvernement �gyptien, fou furieux, d�versant sa haine sur un homologue alg�rien, faisant preuve d'un sang-froid altier. Si je comprends bien : d'abord, c'est la �tchi-tchi� d'Egypte qui refuse de se rabaisser en se colletant avec nos �moujiks� � Khartoum. Ensuite, devant les gesticulations et les menaces verbales des parents �gyptiens, notre gouvernement aristocratique refuse de �descendre si bas� en ne relevant pas le d�fi. Si je ne connaissais pas mes compatriotes, et nos gouvernants en particulier, j'aurais salu� ce panache et cet esprit chevaleresque. Seulement, j'en sais trop pour jouer les na�fs, et pas assez pour en dire plus, sur �l'�pisode prodigieux� de Khartoum. Bon ! Supposons que l'un des deux gouvernements, en l'occurrence le n�tre, ait gard� un calme olympien sous les brimades, de fa�on � ne rien compromettre. Comment se fait-il alors que les deux larrons, habitu�s � s'entendre, au d�triment des badauds de foire que nous sommes, � leurs yeux, aient rat� l'occasion suisse ? Comment Le Caire et Alger, englu�s dans une crise d'amour-propre sans issue, ont-ils laiss� �chapper cette aubaine qui s'offrait depuis les minarets suisses ? Une aubaine, une issue de sortie honorable pour deux bellig�rants qui ont crois� le fer � l'ombre des minarets. Deux r�gimes qui se targuent de modernit�, mais laissent le cheval de Troie wahhabite piaffer et pi�tiner les rares espaces de libert� et d'humanit� existant encore dans nos pays. Comment se peut-il que les deux gouvernements, habituellement si prompts � s'indigner de concert ou s�par�ment, ne soient pas en premi�re ligne dans l'offensive des minarets ? Ils nous ont pourtant habitu�s � �tre plus prompts quand une pareille occasion se pr�sente � leur port�e. C'est si facile pour eux de se refaire une sant� � si bon compte... suisse, qu'on a de la peine � comprendre leur manque de r�action, voire leur indiff�rence. Moi, simple citoyen, et musulman de base, j'ai le droit de ne pas �tre vex�, parce que les Suisses n'aiment (plus) pas les minarets. C'est leur droit, et je le leur conc�de volontiers � condition qu'ils aient aussi la phobie d'offrir asile et protection � l'argent qu'on me vole. Je sais aussi que la Suisse n'a pas attendu les minarets pour faire d�coller son �conomie, m�me si sa fortune provient, en grande partie, des constructeurs de mosqu�es. Si leurs propres fus�es ne d�collent jamais, pour reprendre l'expression irr�v�rencieuse de Kateb Yacine, ils alimentent au moins, en carburant, celles des autres. Tout cela fait que le manque d'enthousiasme religieux des r�gimes arabes me g�ne beaucoup et me donne � penser que les puissances d'argent n'ont que faire de l'omnipotence divine. Les d�posants (1) arabes des banques suisses doivent croire au jugement dernier, mais comme � une issue hypoth�tique, et en tout cas trop lointaine pour �tre inqui�tante. Donc, ni l'Egypte ni l'Alg�rie n'ont saisi la perche suisse pour enterrer la hache de guerre interarabe et se peinturlurer pour la bataille du destin, pour le droit � l'�rection de minarets en Suisse. Peut-�tre sentaient-ils confus�ment, quelque part, que les peuples arabes et musulmans commencent � se poser des questions, � propos de la Suisse, mais aussi au sujet de ses clients. Notre confr�re �gyptien, Khaled Mountassar, n'h�site pas � affirmer que les Suisses n'ont pas peur des minarets, mais des cris qui en proviennent. Il rappelle opportun�ment une citation, qui sert d'argument � l'extr�me droite suisse, et qui est de Tayyip (2) Erdogan, l'actuel Premier ministre turc. Il disait : �Les mosqu�es sont nos casernes, les minarets nos ba�onnettes, les coupoles nos casques et les fid�les nos soldats.� Avec de telles d�clarations, il ne faut pas s'�tonner qu'il y ait des r�actions d'islamophobie en Europe, note Khaled Mountassar dans le quotidien Almisri-alyoum. �De plus, ajoute-t-il, nous offrons au monde l'image d'un Islam de conqu�te qui se comporte comme s'il �tait aux premiers temps de son apparition, et comme s'il n'�tait pas une religion achev�e, ayant sa place dans le monde. Nous devons �tre sinc�res avec nous-m�mes : est-ce qu'ils ont peur des minarets ou de la culture qu'il y a derri�re. Cette culture qui a d�form� l'image de l'Islam, religion de paix, devenue synonyme de terrorisme gr�ce � Ben Laden, � ses compagnons et aux nouveaux pr�dicateurs. Ils n'ont pas peur de notre religion puisqu'ils autorisent la construction de mosqu�es, mais ils ont peur des cris qui proviennent de nos minarets. Nous nous sentons oblig�s de mettre des haut-parleurs pour faire entendre nos pratiques, et nos rituels.� Dans le m�me ordre d'id�es, notre ami Alaa Al Aswany rappelle que la plupart des mosqu�es d'Europe sont financ�es et entretenues par les �mirs du p�trole wahhabites. C'est donc une vision de l'Islam d�form�e qu'elles donnent � voir, et c'est ce qui fait peur aux Europ�ens, particuli�rement aux Suisses. Tous les Suisses ne sont pas racistes, mais ils ont tout simplement peur d'une religion rattach�e, dans leur esprit, � la violence, � l'assassinat, et � l'asservissement de la femme. �Quant au gouvernement �gyptien, souligne l'�crivain, il n'a pas moralement le droit de s'opposer � l'interdiction des minarets en Suisse, du moment qu'il n'assure aucune libert� religieuse dans son propre pays. Le pouvoir proc�de r�guli�rement � l'arrestation de chiites et de Coranistes sous l'accusation d'atteinte aux religions. Il pers�cute �galement les baha�s. Quant aux coptes, ils subissent les m�mes probl�mes pour construire des �glises nouvelles ou pour r�nover les anciennes. De plus, le projet de loi qui introduit l'�quit� dans l'�dification des lieux de culte, il dort encore dans les tiroirs et le gouvernement refuse de l'en sortir.� Voil� le Alaa Al Aswany qu'on a du plaisir � lire, mais on peut se demander pourquoi il a trouv� encore le moyen de parler de Khartoum, � l'instar de quelques confr�res �gyptiens et alg�riens qui veulent exploiter le filon jusqu'� �puisement. A. H.
(1) On les appelle les d�posants parce qu'ils se contentent de remettre au banquier suisse l'argent en leur possession contre un re�u. Rien ne prouve que cet argent est � eux, mais les Suisses s'en f... comme de leur premier minaret. (2) Dans les pays arabes o� l'on r�ve encore du retour de la Turquie dans le giron alphab�tique de la langue du Dhad, il s'appelle Tayeb. On vous arabise vite dans ces contr�es-l�, mais on vous retire aussi vite la nationalit� arabe, � la premi�re crise s�rieuse.