Le droit r�serve bien des surprises aux politiques dans les Etats o� la s�paration des pouvoirs est une r�alit� tangible de la construction institutionnelle. Le gouvernement noir-jaune, de centre-droit (CDU-Parti lib�ral) d�Angela Merkel vient d�en faire l�am�re exp�rience avec une r�cente d�cision de la Cour constitutionnelle bas�e � Karlsruhe (ouest) : dans un jugement rendu ce mardi, elle juge insuffisant, inhumain et, surtout, anticonstitutionnel, le r�gime d'allocations sociales dont b�n�ficient les citoyens allemands les plus d�munis. Les juges de Karlsruhe � la gardienne de la loi fondamentale allemande, qui fait office de Constitution � �taient saisis de trois cas de familles qui contestaient le bar�me des aides allou�es pour leurs enfants, mais la Cour a souhait� �largir sa d�cision en statuant sur l'ensemble du syst�me Hartz IV, l��quivalent allemand du RMI fran�ais Politiquement, la chanceli�re donne l�impression de s�en laver les mains : apr�s tout, les gardiens de la loi fondamentale ont farouchement r�agi � une r�forme lib�rale de l'ancien chancelier social-d�mocrate, Gerhardt Schr�der, auteur du syst�me, g�n�ralement connu sous le nom de Hartz VI, et �vinc� du pouvoir en septembre dernier apr�s quatorze ans de r�gne Cinq ans plus tard, les juges de la Cour constitutionnelle rejoignent ainsi, par un biais inattendu, les mouvements de gr�ve contre ce syst�me d�allocations, moins favorable, qui fusionne l�aide sociale et les allocations aux ch�meurs de longue dur�e en un forfait mensuel de 359 euros. Jusqu'� la r�forme rouge-vert, les victimes du ch�mage b�n�ficiaient de trois dispositifs : primo, l'assurance ch�mage d'une dur�e maximale de douze mois (et de trente-deux mois pour les plus de 57 ans), financ�e par cotisations et calcul�e sur la base des derniers salaires ; secundo, l'assistance ch�mage (l'Arbeitslosenhilfe), une allocation de solidarit� pour les ch�meurs de longue dur�e, vers�e sans limite temporelle et financ�e par l'imp�t ; tertio, l'aide sociale financ�e par les communes et calcul�e sur la base des besoins estim�s (logement, chauffage, etc.). La principale disposition de la loi Hartz IV avait conduit � supprimer l'assistance ch�mage en la fusionnant avec l'aide sociale pour donner naissance � �l'allocation ch�mage II�, plus couramment appel�e Hartz IV. C�est ce syst�me que vient de mettre � terre la Cour constitutionnelle en consid�rant qu�il �est incompatible avec l'article 1, paragraphe 1, de la loi fondamentale�, qui garantit �le droit � une existence digne�, selon les termes de son pr�sident Hans-J�rgen Papier. Celui-ci ajoute : �Les r�gles en vigueur ne suffisent pas au regard de la Constitution. Ces r�gles sont inconstitutionnelles.� La Cour a jug� qu'il incombe � l'Etat de garantir � chacun �un minimum de participation � la vie sociale et culturelle� du pays. Or, le bar�me actuel ne pr�voit aucune activit� socio-�ducative pour les enfants Les juges ont estim� que le montant des allocations a �t� fix� �de fa�on arbitraire�, sans �fondement m�thodique�. Ils ont cit� en exemple l'absence d'un forfait pour l'achat de livres scolaires, de cahiers, ou encore d'une calculatrice. Les juges d�noncent le fait que le bar�me pour les enfants ne soit qu'un pourcentage du bar�me adulte (60 � 80 % selon l'�ge, soit entre 215 et 287 euros) qui ne tient pas compte �des besoins sp�cifiques� comme des couches pour nourrissons ou des v�tements � renouveler pour cause de croissance Mon coll�gue et ami, Gero Neugebauer, professeur � l�Universit� libre de Berlin, dont j�ai sollicit� l�avis � la lecture du jugement, me rappelle que �la Cour constitutionnelle a statu� sur une mesure qui date de la coalition rouge-vert de 2004. Le point particulier est l'allocation que per�oit de l�Etat une famille dont le p�re et/ou la m�re est au ch�mage et qui compte en son sein des enfants qui vont � l'�cole. Habituellement, les sans-emploi re�oivent 359 euros, plus le loyer de l�appartement et 70 % de ce montant pour chaque enfant � charge. Le chiffre avait �t� fix� par le gouvernement. Ils ont pass� en revue les statistiques et pris pour base l�allocation qu�un d�muni per�oit en un mois diminu�e de 20 %. De cette fa�on, l'enfant re�oit moins d'argent, mais sa situation particuli�re n�a pas �t� prise en compte, en tant que personne qui grandit, qui a besoin de biens sp�cifiques (livres, etc.) pour son �ducation et d'autres choses, et dont une personne adulte peut se passer. La Cour a d�cid� que les enfants �g�s de 6 � 16 ans devraient recevoir une attention sp�ciale �. Mais au-del� des bar�mes pour enfants, la Cour constitutionnelle a choisi de statuer sur tout le syst�me Hartz IV, qui fut l'une des r�formes majeures du gouvernement du social-d�mocrate Gerhard Schr�der (1998- 2005) et probablement la plus controvers�e : l�ann�e derni�re, les tribunaux ont enregistr� 194 000 plaintes. La Cour a donn� jusqu'au 31 d�cembre 2010 au gouvernement pour qu'il repense son mode de calcul des allocations de fa�on �transparente et appropri�e�, et non plus �� l'aveugle�. Selon le jugement de la Cour constitutionnelle, le l�gislateur doit, pour garantir un revenu minimum �humainement digne� (menschenw�rdig), conform�ment � l'article 1 de la loi fondamentale, fixer des montants dont le calcul doit �tre fait sur la base de proc�dures �transparentes et appropri�es� concourant � la prise en compte des besoins r�els. Gero Neugebauer : �La Cour a bl�m� la coalition rouge-vert parce qu'elle a perdu de vue des valeurs fondamentales de la social-d�mocratie � la justice sociale et la s�curit� sociale � et parce qu�elle a eu recours � une m�thode contest�e de �tondeuse � gazon� : toutes les choses doivent �tre �gales. La cons�quence la plus importante est, cependant, que le gouvernement est maintenant oblig� de fixer, conform�ment � un crit�re, qui a �t� oubli� dans la politique : la dignit� humaine. � La m�thode actuelle, qui repose sur des �valuations forfaitaires des besoins, n'est, aux yeux de la Cour, pas ill�gitime : elle consiste, � partir d'un panel de 60 000 m�nages, � �num�rer et � �valuer les principaux postes de consommation des 20 % des m�nages les plus pauvres et � fixer des taux de prise en charge. Elle conduit � verser une allocation (hors suppl�ments pour le loyer et le chauffage) de 359 euros (2009) au chef de m�nage et de 323 euros pour le/la conjoint(e). Les cons�quences financi�res de cette r�vision sont lourdes : 6,7 millions d'Allemands b�n�ficient des allocations Hartz IV pour lesquelles l�Etat a d�bours�, en 2009, un peu plus de 45 milliards d'euros, une charge d�j� lourde dans les comptes de la premi�re �conomie europ�enne qui conna�t son plus grave d�ficit de l'apr�s-guerre. La ministre du Travail et des Affaires sociales, Ursula von der Leyen, acquiesce : �Ce jugement est incontestable et la soci�t� va devoir payer, c'est clair.� Selon les projections, si l'actuelle allocation de 359 euros par mois pour un adulte est relev�e par exemple � 420 euros, il en co�tera 10 milliards d'euros de plus par an � l'Etat. Sur le plan politique, la d�cision jouera comme un effet de recentrage : elle aiguisera les contradictions entre conservateurs et lib�raux au sein d'un gouvernement d�j� tr�s divis� sur la question ch�rie de toutes les droites : les r�ductions d'imp�ts. Ainsi, le chef du Parti lib�ral et membre du gouvernement, Guido Westerwelle, a d�j� mis en garde contre les �risques de d�cadence� li�s � une �soci�t� d'assistance�. Par contre, les organisations sociales ont applaudi la d�cision de Karlsruhe, comme la conf�d�ration syndicale DGB qui r�clame �un programme contre la pauvret�. � Pour sa part, le porte-parole du minist�re des Finances, Michael Offer, est plus serein : il estime que le jugement de Karlsruhe n'impliquerait �pas n�cessairement� une augmentation des aides : le jugement ne dit rien de la hauteur des bar�mes (futurs), il exige seulement un calcul transparent et �on ne peut pas pr�dire les cons�quences financi�res �. L'arr�t de la Cour soul�ve, en effet, une question r�currente, pas n�cessairement propre � l�Allemagne, li�e au mode de fixation du seuil de pauvret� et, cons�quemment, des bar�mes requis pour la contenir. C�est ce que les statisticiens connaissent sous le nom des �chelles d'�quivalence de revenu, avec pour param�tres fondamentaux la composition des m�nages et le poids respectif des membres de la famille. La premi�re id�e de base est que des personnes r�unies sous le m�me toit r�alisent des �conomies d'�chelle dans la consommation (elles ont besoin d�une seule cuisini�re, d�un seul chauffage, par exemple), qui permet � la personne suppl�mentaire de subvenir � ses besoins � moindre frais que si elle vivait seule. L�autre id�e, soulign�e par l�arr�t, est que les besoins varient avec l'�ge.