Comme chaque semaine, ce jeudi en soirée, après avoir écouté sur notre ancien tourne-disque, la chanson Yalli Bghet Tesher Radjelha de Mohamed Marokène, on est passés aux anciennes chansons du défunt Ahmed Saber. On met la pointe de l'aiguille sur le disque vinyle 45 tours et la voix d'Ahmed Saber sort vivante pour chanter Ya Lkhayen Ydji Nharek (toi, le voleur, viendra ton jour), un grand succés des années 1960. A cette époque déjà, le chanteur qui a su moderniser la chanson bedoui oranaise s'entourait de jeunes filles pour reprendre en chœur le refrain de la plupart de ses chansons. Ayant quitté le lycée avec un niveau de terminale à la fin des années 1950, Ahmed Saber était écrivain public, avant de devenir la plus grande star du bédoui oranais moderne. De son vrai nom Nacereddine Baghdadi, Ahmed Saber est mort en 1969 à l'âge de 34 ans. L'artiste savait choisir ses sujets, il s'intéressait aux couches sociales défavorisées et aux paroles des anciens poètes du melhoun qu'il a su mettre en valeur grâce à sa voix, à son génie d'artiste et aux arrangements de musique moderne. Provocateur Il est à rappeler que l'orchestre était souvent dirigé par Bendaoud Djelloul. D'une grande culture générale, le chanteur était sûrement le premier à utiliser une chorale féminine pour des chansons oranaises. On entendait ces voix douces reprendre le refrain dans Bouh Bouh Wel Khedma Wellat Wdjouh, un 45 tours dans lequel il dénonçait le piston qui régnait déjà au début des années 1960. Ahmed Saber, en provocateur, ne se retenait pas pour se moquer des bourgeois de l'époque. Dans la chanson écrite par cheikh Omar El Mokrani, El Ouaqtia, il avait fait un voyage dans la société rongée par les fléaux sociaux, notamment la prostitution, la boisson et la drogue. Le militant, qui avait su toucher les plus hautes sphères par le biais de ses chansons vendues par milliers, mais interdites à la radio, avait le sens de l'humour et en usait pour s'attaquer aux ennemis de la nation. Dans Ya l'khayane, il avait trouvé la bonne astuce pour dénoncer les vrais voleurs, et pour que sa chanson attire l'attention, il avait cité le président de la République de l'époque. Ahmed Saber vivait comme une véritable star américaine et toutes les rumeurs couraient à son sujet. Des fois, on annonçait son arrestation et d'autres qu'il s'était éxilé à l'étranger. Victime de son succès Il faut dire qu'Ahmed Saber a été victime de son succès puisqu'il avait rompu avec son producteur Fouatih Brahim, qui a été le premier éditeur algérien à avoir diffusé des disques 45 tours. Ayant constaté que ses disques se vendaient comme de petits pains, Ahmed Saber aurait exigé de son éditeur de produire plus de disques, ce qui n'était pas l'avis de M. Fouati qui lui aurait conseillé de ne pas trop inonder le marché et se contenter de quatre succès par an. Ahmed Saber, qui aurait refusé d'écouter les conseils de son éditeur, aurait décidé de voler de ses propres ailes, ce qui lui a valu une baisse de popularité, car les disques produits par la suite n'étaient pas à la hauteur, notamment Beyaâ el batata, des paroles de bas niveau par rapport à ce qui se chantait à cette époque. Mort sur la corniche oranaise, Ahmed Saber aura laissé une image d'artiste provocateur et des disques devenus une source pour les chanteurs de la nouvelle génération.