Au-delà des bons sentiments, des paroles attendues, des mouchoirs sortis, que s'est-il passé, ce fameux 11 novembre 1918 ? Juste quelques questions quant à la pertinence ou non, de la présence de certains, lors de cette célébration du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Parait que le monarque marocain a piqué un petit roupillon, au moment où Macron, devant la tombe du soldat inconnu et sous une pluie battante, dissertait sur la situation internationale et les colombes de la paix qui pleuraient. Ce n'était pas anodin, bien qu'un petit somme, c'est «normal», «ordinaire»,… Par contre, ce qui l'est moins, c'est la présence très active du président turc à Paris. Et, quelles que soient les réticences qu'on peut avoir sur les questions de paix, de fraternité, du vivre ensemble et des droits fondamentaux, ça n'est sûrement pas le Tayyip Erdogan qui peut dormir tranquille,… Son évolution depuis ses premiers pas dans l'Islam politique, donne les clés de la compréhension du comportement de la Turquie dans la région et dans le monde. Il a fait sienne cette doctrine, et l'applique sur le terrain, depuis plus de quinze années. Parallèlement, son pouvoir est devenu de plus en plus personnel, autocratique et anti-démocratique. Et quand certains de nos partis, dits islamiques, lui tiennent la chandelle, ça fait peur au-delà des frontières… Son nationalisme agressif s'oppose complètement au multilatéralisme prôné à Paris, malgré Donald Trump. Pour la Turquie, c'est plutôt la tendance au recours, et de façon fier-à-bras, au chantage dans ses relations avec le reste du monde, et notamment ceux qu'elle accuse de menées subversives. Et inutile d'énumérer ici, les pays avec qui la Turquie n'a aucun atome crochu, du fait de son négationnisme d'Etat. Quant à Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République laïque de Turquie, disparu un 10 novembre 1938, il fait l'objet de contestations, depuis l'arrivée au pouvoir des islamo-conservateurs. Pourtant, il réforma le pays en profondeur, pour y construire un Etat-nation empreint de modernité, sur les ruines d'un Empire ottoman écroulé. La laïcité, l'abolition du sultanat et du califat, l'interdiction du port du fez, le changement de l'alphabet, le droit de vote des femmes, bien avant pas mal de contrées, c'est lui. Normal que le pays s'en souvienne en observant deux minutes chrono, de silence à sa mémoire. Pourtant, celui qui inspira Gandhi dans son mouvement d'indépendance de l'Inde, Erdogan ne l'a pas en odeur de sainteté. Contesté, et même qualifié d'ivrogne, Mustafa Kemal Atatürk s'est attiré toutes les foudres des islamo-conservateurs. Il aurait transformé des mosquées en étable par le CHP, le parti républicain d'Atatürk, et des imams auraient été pendus pour refus du port de chapeau. Des affirmations gratuites démenties par la suite. Quant à l'invité du cérémonial parisien, il aura rebaptisé une dizaine de stades qui portaient le nom d'Atatürk, depuis son arrivée au pouvoir. Et même si Erdogan n'a jamais fait partie de son corpus idéologique, il revendique, toutefois épisodiquement, son héritage, comme ça a été le cas à Paris. Réconciliation avec la paix, la modernité ou pur opportunisme ? En se faisant réélire président de la Turquie, jour marqué par le basculement d'un régime parlementaire à un régime présidentiel, Erdogan a gagné son pari. Mais a-t-il effacé l'image d'une radicalité faisant fuir toute colombe de paix ? Cette colombe ressemble, à s'y méprendre, à un borgne. Il n'a qu'un œil, mais il pleure quand même…