Les évènements nécessitant des dépenses circonstancielles constituent pour eux une véritable épreuve. «Ma yeslak fiha ghir touil laâmar» (ne peut en échapper que celui à qui Dieu a prêté longue vie), dira Slimane, un journalier avec un job un jour sur deux. Les familles à genoux par les grosses dépenses du mois sacré affrontent un autre examen, celui de faire plaisir à leur progéniture. Un examen où la patience ne suffit pas quand on sait les frais exigés pour satisfaire tant bien que mal des enfants exigeants, environnement exige. Les averties d'entre elles ont déjà accompli la lourde mission soit au début du Ramadhan ou encore bien avant, évitant de ce fait la pression des derniers jours. Cependant, question de logique, la vie ne sert pas tout le monde de la même manière. Certains ont la faveur de la bonne étoile pendant que d'autres triment toute leur existence sans pouvoir arriver à améliorer leurs conditions modestes. Ainsi pour ces derniers, les évènements nécessitant des dépenses circonstancielles constituent pour eux une véritable épreuve. «Ma yeslak fiha ghir touil laâmar» (ne peut en échapper que celui à qui Dieu a prêté longue vie), dira Slimane, un journalier avec un job un jour sur deux. Vendeur à la sauvette, colporteur au marché de fruits et légumes, dépanneur en problèmes d'électricité, il a du mal à joindre les deux bouts. Acheter des vêtements à ses enfants est synonyme de parcours du combattant lorsque les moyens viennent à manquer. Notre ami de circonstance rencontré en cet après-midi de Ramadhan du côté de la rue Amar El Kama (ex-rue de Chartres) ne sait plus où donner de la tête. «Un ami m'a conseillé de venir ici où tout est négociable. Je viens du quartier du 1er Mai et je suis exténué. Tout ce que je souhaite, c'est de rentrer dans mon budget, ce qui n'est pas évident», confie le père de famille, avouant n'avoir dans sa poche pas plus de 10.000 DA, somme à partager en trois parts. Ce marché très actif depuis la période coloniale était jadis un lieu de négoce incontournable, très fréquenté par les habitants de la capitale et de sa banlieue. Pour un pantalon, une chemise ou une paire de chaussures, c'est dans ce repère qu'on trouvait son choix. Autres temps, autre clientèle. Les choses ont bien changé. Une dame accompagnée de son protégé négocie un jeans effiloché comme en raffolent tous les jeunes mordus de mode. Le marchand l'appâte en mettant en avant la marque. «Hada horr» (c'est de l'original), lui dit-il en tapotant sur l'article, façon de la convaincre. Voyant son fils craquer sur le froc, la maman n'avait qu'à abouler 3500 DA. Selon elle, ce n'est que le début des achats puisque son rejeton exige un tee-shirt et des baskets. Une sortie où elle ne laissera pas moins de 10.000 DA. Début d'après-midi dans le quartier Ferhat Boussaad(ex-Meissonnier). La rue commerçante grouille de monde et les magasins sont à l'heure des fêtes de l'Aid. C'est le compte à rebours du mois sacré et le pic des achats de vêtement pour les retardataires. Les femmes accompagnées de leur progéniture sont plus nombreuses que les hommes. L'une d'elles traînant derrière elle trois mioches dont le tout dernier, attiré par l'animation de la rue, ne suit pas. La maman s'est chargée de cette mission délicate d'habiller ses petits alors que le mari, camionneur, est absent pour déplacement. Seulement, le problème posé est lié à la bourse dont elle dispose. Son époux ne lui a remis que 10.000 DA pour les achats, transport compris. Son mari arrive difficilement à boucler les fins de mois. «Avec la cherté de la vie, c'est tout juste si on ne s'endette pas. Aussi, je suis tenue de ne pas dépasser cette somme». Elle s'excuse en prenant congé de nous car même le temps est compté pour cette maman. Complainte d'un père Rachid est plongé dans une méditation profonde. Après une longue discussion avec sa conjointe, ils décident de franchir le seuil du magasin. L'expression de son visage indique un bouillonnement interne. Par pudeur, il hésite de nous entretenir sur la question des achats de l'Aïd, tout en ayant pourtant décliné notre profession. Il finit par raconter son désarroi. L'histoire d'un chef de famille tenaillé par ses conditions de vie modestes. Depuis des mois, il prépare l'évènement. Le père raconte avoir cinq enfants, tous scolarisés. Toutes ses économies se résument à pas plus de 17.000 DA, tirelire qu'il compte casser en ce jour de grâce de mai pour acheter à ses enfants de quoi se montrer dignement le jour J. Pour lui, le mois de Ramadhan n'a rien d'exceptionnel en matière de cuisine. «On ne peut se permettre que très rarement des extras. Malgré toutes les privations, on est sur le carreau. Comment faire quand les rentrées d'argent sont limitées ?», se plaint le père de famille avant de se ressaisir par : «Vous savez, l'Aid c'est sacré et l'on est obligé de faire comme tout le monde». Combien ça coûte ? Habiller son enfant et lui faire plaisir le jour de l'Aid est avant tout une fierté pour les parents. Certains rivalisent alors que d'autres se contentent de faire avec les moyens dont ils disposent. Les nantis déboursent des millions par enfant pendant que les petites gens ont toutes les difficultés du monde à mettre une somme modeste pour toute une marmaille. On raconte qu'un riche promoteur de la capitale envoie sa femme à chaque évènement faire les courses à Paris. La facture estimative se compte en milliers d'euros. Ce qui n'est pas le cas de Tayeb, un citoyen de Birkhadem ayant fait tous les métiers possibles sans jamais en avoir gardé un seul. Il loue son savoir-faire de plombier dans la mesure des sollicitations. Pour lui, le montant mis pour vêtir ses quatre enfants ne doit en aucun cas dépasser 12.000 DA. Et c'est une prouesse. Il lui arrive même de recourir à la fripe. «Ce n'est pas facile de l'accepter mais quand il n'y a plus de cran à la ceinture, on n'a pas le choix. Je fais cela mais je n'ai jamais pris un sou indument», souligne le valeureux père de famille. Saha Aidkoum.