Comme s'il ignorait la réalité qui prévalait avant son investiture dans le camp inhumain de Guantanamo, le nouveau président américain Barack Obama, qui a prévu sa fermeture dans un an, y a ordonné une enquête dont les conclusions rendues publiques ces derniers jours blanchissent l'Administration Bush, à l'origine de la création de cette zone de non-droit avérée. Dans un rapport sur la situation dans cette prison, les enquêteurs mandatés par Obama jugent les conditions «actuelles» de détention à Guantanamo «en conformité avec l'article 3 des Conventions de Genève». Cette enquête de près d'une semaine fait table rase du passé même récent, de la réalité inqualifiable qui s'y observait. Pour tout le monde, sauf pour les nouveaux maîtres à Washington, le verni peint sur le tableau sombre de ces lieux infrahumains est en totale contradiction avec les témoignages des avocats des détenus qui ont visité ce mouroir et des prisonniers chanceux qui l'ont quitté. L'indignation est partout, notamment chez tous les défenseurs des droits de l'homme qui ont eu l'heur de se rendre sur les lieux. Le seul fait que le rapport d'enquête préconise que «plus de socialisation est essentielle pour maintenir un traitement humain à long terme» est un aveu tacite sur les traitements cruels infligés aux détenus dont la beaucoup ont été arrêtés sans preuve, isolés, torturés, humiliés, abusés sexuellement, affamés et l'on en passe, jusqu'à ce que mort ou folie s'ensuive. Selon l'amiral Patrick Walsh, principal rédacteur du rapport, «la socialisation et les interactions entre détenus sont importantes en raison de la durée d'incarcération de ces individus, dont certains sont captifs depuis sept ans». Celui-là recommande de «fournir plus de contacts humains, d'occasions de loisirs regroupant plusieurs détenus, de stimulation intellectuelle et des prières de groupe». Le rapport ajoute que 8% des détenus (sur 245) «souffrent de problèmes mentaux exigeant un traitement médicamenteux» et demande «le recours systématique à la vidéosurveillance, afin d'éviter toute suspicion de mauvais traitement». Aveux Les tortionnaires envoyés dans ce camp pour arracher des aveux aux détenus islamistes, jugés avant terme d'être les ennemis du «monde libre», ne devaient pas laisser de preuves sur leurs pratiques, et les témoignages des détenus ne valent rien face à un système fermé qui s'affuble du qualificatif de civilisé. «L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement est le nombre d'accusations de mauvais traitements», a dit affirmé l'amiral, qui reconnaît seulement que «l'enquête avait mis à jour 20 accusations, dont 14 justifiées, qui ont toutes été réprimandées». Dans un monde réellement libre, les auteurs et les commanditaires de ces dénis sans nom des droits humains les plus élémentaires seraient jugés et lourdement condamnés. «La seule solution est de posséder des preuves indéniables de ce qui s'est passé, par le biais d'enregistrements vidéo», s'est alors justifié le chef des enquêteurs, pour protéger à jamais les bourreaux. Les preuves pourtant existent. Ainsi, un document du Sénat américain affirme que l'ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld avait «transmis le message selon lequel les détenus devaient être soumis à des pressions physiques et des humiliations». Le cas Mohamed Al Qahtani, un Saoudien soupçonné d'avoir tenté d'entrer aux Etats-Unis en 2001 afin de devenir l'un des pirates de l'air du 11 septembre, est patent. Selon les témoignages, «il a été torturé pendant 49 jours, du 23 novembre 2002 au 11 janvier 2003, à raison de 20 heures par jour. Il a été soumis à de longues périodes de privation de sommeil, placé nu dans des chambres froides, sexuellement humilié, menacé avec des chiens, traîné en laisse à quatre pattes, bombardé de musique, tandis que des médecins lui injectaient des produits pour qu'il se tienne en éveil plus longtemps». L'homme est «pratiquement devenu fou. Tant et si bien que des enquêteurs militaires du Département américain de la Défense ont estimé, en 2006, qu'il serait impossible de le juger en raison du traitement qu'il a subi». Des «comme ça» sont légion. Le récent témoignage du journaliste de la chaîne Al Jazeera, qui a fait le tour du monde, en est l'illustration parfaite. Obama devrait ne pas faire pression sur la justice de son pays, s'il veut réellement réhabiliter l'image fortement ternie des Etats-Unis auprès du monde musulman. Lobbies et argentiers Or l'on sait qu'aux Etats-Unis, ce ne sont pas les présidents qui gouvernent, mais les puissants lobbies argentiers qui les font rois. Le rapport qui blanchit l'Administration Bush est contrecarré aussitôt par un autre, œuvre du Centre (américain) pour les droits constitutionnels. Ce document, en revanche, accable le système des néoconservateurs, en parlant de «conditions inhumaines qui violent les obligations des Etats-Unis en vertu des conventions de Genève, de la Constitution américaine et des droits internationaux». Pour les rédacteurs du texte, «actuellement, à Guantanamo, la plupart des détenus sont enfermés à l'isolement, les conditions dans le camp sont très dures, les températures sont extrêmement basses dans les cellules, les violences ou les privations de sommeil font partie du quotidien des détenus». Ce sont là quelques bribes de la réalité amère rapportée par le journaliste d'Al Jazeera. Autre réquisitoire, celui de l'Union américaine des libertés civiques qui a publié des passages d'un rapport gouvernemental, aujourd'hui déclassé, sur les techniques d'interrogatoire utilisées en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo. Ce texte se réfère à un rapport confidentiel du vice-amiral Albert T. Church, chargé d'enquêter sur les méthodes d'interrogatoire du département de la Défense. Son constat établit alors que «les interrogatoires effectués à la base aérienne de Bagram, en Afghanistan, sont clairement abusifs, de toute évidence non conformes à aucune politique ou instruction approuvée pour les interrogatoires». On sait que le camp de Guantanamo a été mis en place et «rempli» par les détenus transférés de celui de Bagram. Or aujourd'hui, Obama, qui veut fermer Guantanamo, s'en lave les mains pour le cas de Bagram. Est-ce parce qu'il a prévu de renforcer les troupes militaires en Afghanistan, pour soi-disant en finir avec le terrorisme dans ce pays ? Pourtant, le camp de Bagram, copie de Guantanamo, où les mauvais traitements sont le plat quotidien des 600 détenus, se trouve dans une base militaire. Pourtant, Obama qui s'exprimait mardi, pour la première fois, devant le Congrès a assuré de sa volonté de rompre avec les politiques qui ont terni l'image des Etats-Unis à l'étranger. «L'Amérique ne torture pas», a-t-il affirmé. Oui, officiellement.