La sardine est-elle en passe de détrôner la daurade et autres poissons «nobles» ? Au vu de son prix qui prend des altitudes vertigineuses, la probabilité n'est pas aussi insensée que l'on serait tenté de le croire. Le kilogramme de sardine est cédé à 300 DA au port de pêche de Bouharoun. 1000 DA est le prix du kilogramme de crevettes, 800 DA celui du merlan et 700 DA de la sole. Le loup de mer est vendu à 800 DA/kg, le pageot à 600 DA et le rouget à 700 DA. Considéré comme l'un des plus grands ports de pêche des côtes algériennes, Bouharoun, petite ville située à 60 km à l'ouest d'Alger, dans la wilaya de Tipaza, connaît un sensible ralentissement de l'activité halieutique. «La crise qui ne dit pas son nom est provoquée essentiellement par le non-respect de la loi», expliquent des marins rencontrés hier sur les lieux. Qui aurait prédit qu'un jour le kilogramme de sardine atteindrait les 300 DA ? Ce poisson est parmi les seuls plats protéiques accessibles aux classes défavorisées. Les couches populaires en raffolent. Les vendeurs de poissons accusent «les mandataires de spéculation». «Ce sont eux qui sont à l'origine de la flambée des prix de la sardine», estime un marchand sur les quais. Sur sa lancée, il affirme qu'«il nous arrive de vendre à perte, juste pour ne pas laisser la marchandise pourrir». Un marin de longue date soulève vigoureusement la menace de disparition des sardines des côtes algériennes. Pour lui, «la pêche en période de reproduction nuit dramatiquement à l'ensemble de l'écosystème. D'autre part, la multiplication des sardiniers et la pêche à outrance dans les mêmes zones ne permettent pas aux sardines de se repeupler». «Les filets raflent tout, même les jeunes sardines», précise-t-il. En guise de solution, il propose «l'arrêt de la pêche de la sardine pour une certaine période, puisque les pêcheurs ne peuvent pas faire le tri à bord de leurs bateaux». Menace sur l'environnement La pollution de la mer Méditerranée d'une manière générale et des côtes algériennes en particulier est un autre aspect ayant entraîné la fuite des sardines vers d'autres horizons. Cette espèce de poisson est contrainte de trouver d'autres zones d'habitation, notamment pour se reproduire. Des marins pointent du doigt certains propriétaires de chalutiers. «Ils sont responsables du massacre et ils sont à l'origine des méthodes de pêche interdites par la législation en vigueur», signalent-ils. Un marin pense que «le manque de qualification de certains pêcheurs, arrivés dans le domaine par les différents dispositifs d'aide à l'emploi, a également causé la fuite des sardines, puisqu'ils ne sont aucunement professionnels et ne respectent pas la nature». Dans le même sillage, un autre bahri reproche aux opérateurs privés «d'avoir investi dans la filière dans l'unique but de s'enrichir, sans se préoccuper des particularités halieutiques et du sort des centaines de familles qui vivent grâce à cette activité». Un de nos interlocuteurs soulève pour sa part «l'atteinte grave à la faune et à la flore que constitue l'utilisation de la dynamite». «Ce procédé a pour objectif d'augmenter les prises des pêcheurs peu scrupuleux. Cette pratique est pourtant interdite et sévèrement réprimé en Algérie», martèle-t-il. «Nous voulons des crédits» Des marins approchés souhaitent bénéficier de crédits bancaires pour renouveler leurs équipements et leur matériel de pêche, car souvent obsolète. En effet, le port de pêche de Bouharoun abrite, selon un marin, «un total de 400 chalutiers et sardiniers». Au premier coup d'œil, force est de constater la vétusté de la majorité des bateaux. Des pêcheurs mettent en relief la dégradation des conditions de travail et les faibles rentrées d'argent, insuffisantes pour subvenir aux besoins de leur famille. La nécessité de recourir au crédit est induite par la cherté du matériel, principalement importé d'Europe. En plus de cela, les filets doivent être quotidiennement entretenus, sans oublier les prix faramineux des moteurs, des groupes électrogènes et des projecteurs. Poisson frais Le port de Bouharoun connaît également une activité de restauration assez animée, notamment pour les spécialités de poissons frais. Une trentaine de familles étaient sur place pour profiter de la journée printanière et pour déjeuner dans de petits restaurants conviviaux. Cependant, selon des restaurateurs, «la cherté du poisson fait de plus en plus fuir les clients». «Des postes d'emploi ont déjà été supprimés pour diminuer les charges», se désolent-ils. Fondé par des Siciliens et des Napolitains, ce port pittoresque est réduit à un inexorable déclin.