L'exode des jeunes Français candidats au djihad en Syrie s'est accéléré avec le retour d'une première génération qui s'efforce d'embrigader ses proches, déclare dans un entretien à Reuters le juge antiterroriste Marc Trévidic. Des milliers de jeunes hommes ont quitté l'Europe pour rejoindre les rangs des rebelles islamistes en guerre contre le régime de Bachar al Assad. Ils seraient près de 2.000 venus de l'Europe de l'Ouest, selon le Centre international pour l'étude de la radicalisation. "Des événements majeurs comme l'utilisation de gaz chimiques ont provoqué des vocations", dit Marc Trévidic. "Il y a eu aussi un accélérateur qui a été très net, c'est (quand) la première génération de ceux qui sont partis sont revenus chercher leurs copains", ajoute-t-il. Alors qu'en moyenne 30 à 40 "habitués du djihad" partaient de France pour aller rejoindre les précédentes terres de combat comme l'Irak, la Bosnie, la Tchétchénie ou encore la Somalie, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a estimé le 30 janvier dernier que leur nombre s'élevait en France "autour de 600 à 700 Français ou résidents en France, dont 250 sont aujourd'hui sans doute en Syrie et 21 sont déjà morts sur place." À une poignée de profils aguerris s'ajoute en effet une "génération spontanée" de nouveaux djihadistes, qui profitent notamment de la facilité de se rendre sur place, comme l'illustre le périple récent de deux adolescents toulousains. "Il n'y a pas besoin de grands systèmes opaques. Ce n'est pas comme à l'époque où, pour aller en Afghanistan, on passait par Londres, il fallait plein de contacts", dit Marc Trévidic. "C'est beaucoup plus ouvert." "RADICALISATION EXPONENTIELLE" La plupart des candidats au djihad se contentent en effet de s'envoler vers la Turquie où de nombreux passeurs - qui ont fait de ces départs un véritable commerce avec vente de parkas, de sacs de couchage, etc. - les attendent à la frontière syrienne. Pour le juge, ces jeunes ne représentent pas un danger immédiat à leur retour sur le sol français. Hormis ceux qui ont été dégoûtés du djihad pour des raisons personnelles - ceux dont le concours a par exemple été refusé -, ces jeunes ne pensent en effet "qu'à repartir", souligne-t-il. "Il y a un danger à moyen terme évident mais, pour l'instant, les efforts de tous les djihadistes sont concentrés contre Bachar al Assad et ils savent très bien que ça serait complètement absurde et contre-productif de faire un attentat en France", dit-il. "Tant qu'il y aura le régime de Bachar, tant que sur le terrain (...) les djihadistes estimeront qu'ils ont une chance de renverser le régime et de créer un Etat islamique, leur force, leur énergie sera dans cet endroit." Reste un risque à moyen terme avec des individus qui, en Syrie, se créent un carnet d'adresses du djihad international, souligne le juge antiterroriste. Face à cette accélération des départs, Marc Trévidic prône l'invention de nouveaux outils pour combattre l'embrigadement des jeunes recrues. "Jusqu'à présent, on s'est reposé uniquement sur la justice antiterroriste, c'est-à-dire la répression", dit-il. "On a une radicalisation exponentielle dans notre pays, on a de plus en plus de personnes embrigadées dans des groupes qu'on peut qualifier de terroristes, donc c'est un échec." UNE LOI CONTRE L'EMBRIGADEMENT ? S'il faut d'après lui continuer à arrêter les personnes au profil particulièrement dangereux à leur retour en France, le magistrat appelle de ses vœux de nouveaux moyens pour empêcher leur départ. "Il faut être inventif", dit-il. "Je ne suis pas loin de penser qu'il faudrait une loi qui empêche les jeunes Français de s'embrigader, d'aller faire la guerre ailleurs (...) un peu comme on interdit de consommer de l'alcool avant de conduire." Quant à la confiscation des passeports voire la déchéance pure et simple de la nationalité de ceux qui seraient partis puis rentrés, envisagée par certains pays européens comme le Royaume-Uni et la Belgique, cela ne règlera pas le problème, d'après le juge. "Il y en a qui reviennent et qui ne font plus parler d'eux", souligne-t-il. Surtout, dit-il, "on sait ce que ça donne les apatrides en matière de terrorisme."