Qu'est-ce qui se passe dans la vie ? Abderrazak, ou «Merzak» comme on l'appelle dans le quartier, se pose souvent cette question. Non pas parce qu'il a l'âme philosophique qui le mènerait à des interrogations existentielles mais simplement parce qu'il voudrait bien savoir ce qui se passe dans la vie des autres, puisque que dans la sienne il ne se passe jamais rien. Merzak se demande aussi pourquoi les gens s'intéressent aux saisons. Il voudrait bien savoir ce qui change au printemps par rapport à l'hiver, en été par rapport au printemps et en automne par rapport à l'été. Ne lui demandez pas de continuer, il vous répondra inlassablement qu'en hiver il fait froid et ça, il lui arrive de le sentir jusque dans ses os. Pour le reste, c'est du temps, cette chose qui fait vieillir. Merzak se pose également la question de savoir si l'Algérie est un pays riche ou un pays pauvre. Non pas pour savoir s'il a une chance, lui de devenir riche, convaincu depuis longtemps qu'il n'en a aucune chance. Il a la cinquantaine passée, il n'a aucun sens des affaires parce que c'est compliqué, il ne joue pas au loto parce qu'il pense que personne n'y a jamais gagné, il ne vole pas parce qu'il est incapable de ramasser un portefeuille même trouvé dans un sentier de forêt, il n'a pas d'héritage à attendre parce que dans la famille on est pauvres dans les gênes, il ne peut devenir ni maire, ni député, ni ministre, il n'a pas l'intention de fonder une association pour détourner les subventions, il a encore moins l'intention de lancer un parti politique pour vendre les listes électorales et il ne peut pas vendre de la drogue parce qu'il a une sainte horreur de la prison. Il arrive aussi qu'il se demande pourquoi l'herbe est verte. C'est que Merzak adore l'herbe mais le vert est loin d'être sa couleur préférée. Alors, question subsidiaire, il s'est demandé pourquoi il n'a pas de chance, même auprès de la nature. Son jeune voisin, qui est ingénieur agronome au chômage lui a bien expliqué qu'on pouvait maintenant, grâce aux techniques de «couplage», de «greffe» et de «synthèse», obtenir de l'herbe bleue, jaune et de d'autres couleurs de son choix. Mais Merzak se souvient qu'après cette discussion, il s'est surtout demandé pourquoi un jeune qui connaît autant de belles choses est au chômage. Un jour qu'il était occupé à se poser d'autres questions au bord de la mer, seul sur un rocher, il y en avait une qui avait accaparé son esprit plus que les autres. Une question qui l'avait particulièrement «travaillé» : est-ce que les poissons meurent de vieillesse ou c'est seulement une trouvaille géniale de quelqu'un qui manquait de patriotisme au point de prétendre que l'Algérie possède l'unique espace marin au monde où le poisson meurt de vieillesse faute d'être pêché ? Ce soir-là, il n'avait pas eu de réponse. De toute façon, ce n'est pas vraiment un problème, Merzak n'attend pas spécialement de réponse quand il pose des questions. Alors, il s'est posé la dernière question avant l'été : pourquoi se poser des questions quand on n'attend pas de réponse ? Slimane Laouari