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«Les groupes terroristes financés, formés et armés par le Qatar, l'Arabie saoudite, la Turquie et les Etats-Unis» Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), au Temps d' Algérie :
Le Temps d'Algérie : Certains pays du Moyen-Orient ont, des années durant, armé et financé «Daech» et le «Front Al Nosra» pour détruire la Syrie et l'Irak. Aujourd'hui, ces mêmes pays font partie de la «coalition internationale» de lutte contre ces organisations terroristes. Comment expliquez-vous ce «retournement de veste» ? Eric Denécé : La raison est que leurs «poulains» échappent à leur contrôle et se retournent désormais contre eux. C'est pourquoi l'Arabie saoudite et la Jordanie, en particulier, se sentent menacées. D'une part parce que Daech est à leurs frontières et les qualifie de régimes impies, et d'autre part parce qu'il nuit à leur influence au sein du monde sunnite, ce que ne peut accepter Ryad. Doha est plus en retrait sur ce dossier. Mais pour les pétromonarchies qui financent les terroristes dans le monde entier, ceux-ci n'ont d'intérêt que s'ils obéissent à leurs sponsors. Ils sont combattus dès qu'ils cherchent à s'affranchir. Quels sont les buts recherchés par les Etats-Unis dans cette «coalition» contre Daech ? Les Etats-Unis n'agissent que pour défendre leurs intérêts nationaux, ce qui recouvre plusieurs aspects. D'abord, ils souhaitent que le Moyen-Orient, dont ils sont en train de redessiner la carte sans l'aval des Etats, ni des populations locales, garde une certaine stabilité. Ensuite, ils interviennent pour assurer la sécurité de leurs alliés locaux (Arabie saoudite, Jordanie, Israël). Enfin, ils cherchent aussi à contenir la poussée des groupes djihadistes, afin qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui leur paraît être utile pour leur politique régionale. N'oublions pas que Washington est doublement responsable de la situation actuelle : d'une part, en raison de l'invasion illégale de l'Irak en 2003, qui a, entre autres, donné naissance au groupe d'Al-Zarkawi, précurseur de l'Etat islamique, d'autre part, en raison du retrait total des troupes américaines alors que le pays n'était pas encore stabilisé. Cela a été une formidable «porte ouverte» pour Daech. Une dissension a été annoncée au sein d'Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), donnant naissance à une nouvelle organisation terroriste appelée «Djound Al Khilafa» qui a déjà annoncé son allégeance à «Daech». Pourquoi maintenant et pourquoi la région du Sahel ? Je ne crois pas que ces événements en Afrique du Nord ou du Sahel soient à l'origine de cette scission. Je pense que l'Etat islamique, par son avancée rapide, ses «victoires» récentes et sa politique active de communication est devenu beaucoup plus dynamique et attractif pour les djihadistes du Maghreb. D'où le fait que certains quittent les groupes affiliés à Al-Qaïda pour le rejoindre. Surtout, il ne faut pas oublier que Daech paie ceux qui collaborent avec lui. Ainsi, l'appât du gain est également un facteur tout à fait déterminant. Nous savons tous que ceux qui tuent et kidnappent au nom de l'Islam sont en réalité de notoires criminels. Comment qualifiez-vous le refus des Etats-Unis et de la France de coopérer avec l'Etat syrien contre Daech ? Les pays occidentaux, au premier rang Paris et Washington, n'ont cessé de se tromper dans leur évaluation des «révolutions» arabes, notamment de la situation syrienne. Cela provient à la fois d'une erreur d'analyse, d'un aveuglement et de l'influence exercée par certains alliés moyen-orientaux (Turquie, Qatar, Arabie saoudite). Tous ceux qui croyaient que Bachar ne tiendrait que quelques mois se sont magistralement fourvoyés. Aujourd'hui, la France et les Etats-Unis sont prisonniers de leur logique : ils sont allés trop loin pour faire volte-face et reconnaître leurs erreurs ; ils savent qu'ils seront ridiculisés aux yeux du monde s'ils ouvraient des négociations avec Damas. Aussi, plutôt que de faire preuve de réalisme et de pragmatisme, ils s'enferrent dans leur logique et veulent toujours «la peau» de Bachar, quitte à faciliter le développement de l'Etat islamique, que leur politique au cours des trois dernières années a considérablement renforcé. Les «djihadistes» libyens, tunisiens et ceux d'autres pays du Maghreb arabe, partis faire le «djihad» au sein d'organisations criminelles dont Daech, Al Qaïda et le Front Al Nosra, en Syrie et en Irak, constituent-ils un danger à leur retour dans leurs pays respectifs ? Oui, évidemment, c'est un risque majeur pour la sécurité de tous les pays concernés. Nous pourrions le comparer à ce qui s'est passé après 1989, après le départ des Soviétiques de Kaboul, quand les Afghans sont rentrés chez eux de l'Algérie au Pakistan et ont contribué à déstabiliser les Etats d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient de l'intérieur. C'est pour cela qu'à mon sens il est nécessaire de les fixer et de les détruire en Syrie et en Irak. Dans cette perspective, la coopération de Téhéran et de Damas est indispensable. Ne croyez-vous pas que cette «coalition anti-Daech» pourrait être utilisée par les Etats-Unis pour effectuer des frappes contre l'armée syrienne et l'affaiblir dans le but de faciliter l'avancée de ce qui est appelé l'opposition armée ? C'est tout à fait possible, car Washington a désespérément besoin de la victoire qu'elle n'a pas obtenue l'an dernier, et qu'elle n'obtiendra ni en Irak, ni en Ukraine. D'ailleurs, les Américains, à travers la crise ukrainienne, cherchaient à faire payer à Moscou son interposition, en septembre dernier, alors que la Maison-Blanche (et son fidèle auxiliaire français) était décidée à bombarder la Syrie… sans aucune preuve tangible de la responsabilité de Damas dans l'utilisation d'armes chimiques. Toutefois, les Russes et les Iraniens veillent au grain. Une telle action entraînerait des conséquences catastrophiques pour la région. Certains pays du Moyen-Orient, dont l'Arabie saoudite et la Turquie) et des pays occidentaux, dont les Etats-Unis, ont délibérément contribué à armer les organisations terroristes comme Daech et le Front Al Nosra... C'est une évidence. Ces groupes ont été directement financés, formés et armés par le Qatar, l'Arabie saoudite et la Turquie, mais aussi les par Etats-Unis, qui ont reconnu avoir formé 8000 combattants islamistes en Jordanie, où se trouvaient les camps d'entraînement. De plus, par leur politique de soutien à l'opposition syrienne, la France et le Royaume-Uni ont également une responsabilité indirecte. Parmi ces Etats, celui qui semble le moins enclin à modérer son «soutien» à l'Etat islamique demeure la Turquie. Cet Etat est en train de devenir l'un des problèmes majeurs de la région : il n'accepte aucune action contre Daech, permet aux terroristes de passer par ses frontières, continue à s'acharner contre Damas… Les contradictions turques sont en train de s'afficher au grand jour : un pays membre de l'Otan, candidat à l'entrée dans l'Union européenne qui est dirigé par un gouvernement appartenant au mouvement des Frères musulmans et soutenant les djihadistes et dont le chef d'Etat (Erdogan) est en train de modifier la Constitution pour s'arroger plus de pouvoir...
Une «rupture» entre Al Qaïda et Daech a été évoquée. Croyez-vous à ce scénario ? Selon moi, il s'agit davantage d'un passage de relais entre deux groupes terroristes relevant d'une même idéologie extrémiste que d'une rupture. Certes, il existe une rivalité entre les hommes, qui aiment occuper le devant de la scène ou profiter des fonds que leur distribuent les pétromonarchies du Golfe persique. Les objectifs et la stratégie de l'internationale djihadiste n'évoluent pas : il s'agit toujours de l'idéologie néfaste issue des penseurs des Frères musulmans.