Si l'on fige l'instantané, glane le souvenir et engrange les brisures de la mémoire par la photographie, il n'en demeure pas moins que ces œuvres immortalisent des instants de pur bonheur, de joie, de solitude ou du quotidien tissant une histoire peu commune. Avec la photographie d'art numérique qui fait des merveilles, l'argentique existant depuis plus de 170 ans est-il révolu ? L'exposition de photographies d'art au Musée national d'art moderne et contemporain (Mama) qui se tient du 1er avril jusqu'au 30 mai s'inscrit dans l'optique de l'innovant. Sortis des sentiers battus, ces onze jeunes photographes utilisent des techniques modernes pour donner forme à des créations libertaires. Formes, couleurs, thématiques se combinent et s'entrechoquent pour donner une vision du monde selon l'œil aguerri du photographe dont bon nombre sont aussi plasticiens et architectes. Le numérique pour s'exprimer Ces innombrables photographies d'art racontent une histoire tantôt intimiste, tantôt galvaudée sous le prisme déformant de la réalité et du vécu de chacun. Intitulée «Regards reconstruits» cette exposition montre des images, certaines statiques, lestées à la linéarité du temps, d'autres en mouvement itératif. Ces images avec comme support le numérique et la vidéo montrent des expressions artistiques esthétiques d'où se dégagent des émotions diverses alliant joie, singularité et insolite. Une introspection en profondeur, toute en tons vifs ou pastel de notre éthos; une pénétration des tréfonds de notre âme qui sonde l'énigme de ce monde. Parfois de l'onirisme en quête de paix intérieure pour comprendre ce siècle tumultueux déshumanisé; une multitude d'images spontanées, métamorphosées, déformées qui tendent vers une évocation du bonheur et de cette paix tant recherchée. Samir Abdiche, Rachida Azdaou, Khaled Laggoune, Tarik Ilès, Fayçal, Mohamed Guesmia, Hakim Guettaf, Selim Aït Ali, Naïma Saâd Bouzid, Zakaria Djehiche, et Abderrahmane Ouattou, de jeunes et talentueux photographes se sont surpassés par leurs œuvres hétéroclites, des composites de différents matériaux. Dans le désert, le temps qui lamine, fige la pierre, qui devient vestige dans ce réceptacle naturel où tout est à l'arrêt comme pour une halte mais dont la durée est séculaire selon Samir Abdiche. Un visage fossilisé aux yeux bleus ravagé par la patine du temps et l'usure de cette staticité, immobilité et pérennité. Rachida Azdaou avec sa farandole en rouge et noire échappe au temps par un éternel recommencement par ces mouvements de danse. Visions d'artistes Le port d'Alger vu par Khaled Laggoune a une dimension que l'on ne lui connaît pas tant le choix des teintes vives et les accords des couleurs suggestionnent le regard ; se peut-il que ce soit le port d'Alger, d'Amsterdam ou de Minsk ?Tarik Ilès s'investit dans les marines. Sa mer démontée et ses ressacs sur les rochers montrent cet éternel recommencement d'une nature qui constitue un éternel refuge. Pour Fayçal, ces ergs, avec ces immenses roches aux figures humaines plongés dans un silence sublime témoignent de la démesure de ces paysages enchanteurs et inouïs. Le mystère du désert est omniprésent quelle que soit la latitude. Mohamed Guesmia renvoie une image déformée de l'Ahellil qui est en osmose avec les vibrations des sons de la ghaïta (flûte) et du bendir. «Un conte vivant qui se perpétue à travers le temps et mon âme légère prend son envol», dit il . C'est le quotidien avec des images glanées çà et là à travers la capitale que montre Hakim Guettaf; Enfant pataugeant dans l'eau, Statue, Vue d'un corridor en trois D. Même vision des choses avec Selim Aït Ali qui prend au vif des instantanés de vie, Une foultitude de paraboles, vues de la gare ferroviaire, Edifices de la Grande-Poste, etc. Des instants de magie Naïma Saâd Bouzid s'investit dans le métal qu'elle met à l'honneur pour mieux percevoir la quintessence de sa beauté à travers la gare, le chemin de fer et les wagons.Prenant comme objet et sujet, des visages d'hommes, de femmes avec leurs expressions, Zakaria Djehiche traduit l'expression des visages collés à une vitre et celle du regard qui se modifie. Enfant au seuil d'une maison, avec son regard coquin et son sourire espiègle nous introduit dans le monde de l'enfance. Abderrahmane Ouattou a traduit cette sensation de l'innocence.et de l'insouciance.Cette manifestation qui regroupe de jeunes et doués photographes renvoie à des regards croisés d'artistes qui, chacun selon sa démarche et sa technique, évoque de purs instants de magie. Un évènement culturel qui met à l'honneur ce sixième art. Cette exposition qui redore le blason de la photographie mérite amplement le détour.