Dans un récent sondage web de notre confrère Liberté, 44% des Algériens avouent n'avoir été «ni heureux ni malheureux» pendant l'année 2014. Presque la moitié de la population du pays ne sait pas de quelle couleur est fait leur quotidien sur une année, vous vous rendez compte ? Ils ignorent si la vie est en rose ou noir. Mais comment fait-on pour ne pas distinguer le rose du noir ? Le sondage ne leur a pas posé la question et c'est normal. Le sondage n'est pas une interview, on pose la question et on prend la réponse comme elle vient, sans possibilité de rebondir là-dessus. Mais ce doit être en raison du fait que les Algériens ne font pas attention aux couleurs, en dehors de celles de leurs clubs de foot. Et la couleur de l'argent ? Ils ne la connaissent pas non plus, puisqu'ils se posent rarement la question sur sa provenance. On leur a certes toujours dit que l'argent ne fait pas le bonheur, mais ils n'ont jamais pu vérifier ça. Ceux qui en ont sont persuadés qu'on leur raconte des sornettes et continuent à gagner de l'argent, quelle que soit sa couleur. Les autres ne peuvent pas vérifier un dicton qui se rapporte à quelque chose qu'ils n'ont jamais eu. Et ils continuent à en avoir de moins en moins. Comment savoir qu'on est heureux ? Normalement, c'est simple. En étant vraiment heureux, en étant malheureux alors qu'on croit qu'on heureux ou en faisant semblant d'être heureux. Faire semblant, c'est mentir aux autres et à soi-même dans la foulée. Et les psychologues sont formels sur la question : à force de mentir, on finit toujours par croire ses propres mensonges, et on devient heureux par névrose ou par schizophrénie. Jamais par paranoïa, sinon beaucoup d'Algériens seraient heureux et les chiffres du sondage de «Liberté» auraient été autres. Près de la moitié des Algériens ne savent pas s'ils ont coulé des jours heureux ou vécu l'enfer pendant l'année qui s'achève. On imagine que si le sondage avait été fait sur toute leur vie, la réponse ne doit pas être bien loin de celle qu'ils ont fournie. D'abord parce qu'il ne doit pas y avoir beaucoup de monde qui décide d'évaluer son bonheur le lendemain du réveillon et faire le bilan douze mois après. Ensuite et l'un dans l'autre, parce que c'est connu, quand on est heureux, on le sait et ça se voit. Quand on est malheureux, on le sait et ça se voit encore plus. Mais quand on ne sait pas ? On est heureux ou malheureux ? On ne sait pas justement, sinon les choses auraient été beaucoup plus simples, sur l'année ou toute la vie durant. Ce sondage a donné, dans ses chiffres de moindre importance, 19% de compatriotes qui avouent avoir été heureux en 2014. Ceux-là aussi n'ont pas dû mettre en route le compteur du bonheur dans la foulée de l'effort de récupération de la gueule de bois du 1er janvier 2014 pour aller y jeter un coup d'œil entre les emplettes pour le réveillon 2015 et un rendez-vous d'affaire» fixé «après la prière du maghreb». Il reste les 35% qui sont malheureux et ils le savent, puisqu'ils le disent. C'est déjà mieux que ceux qui ne savent pas. Slimane Laouari