Il y a certains livres, pièces de théâtre ou films qui nous font vivre des moments où l'on s'imagine qu'on est en Algérie. Le roman Ring de Koji Susiki est parmi ceux-là. Paru en 1991 au Japon, voici ce premier germe du mythe, de l'infection vient d'être édité en France, directement en poche. Les 300 pages du roman se lisent d'une traite – écriture moyenne, mais «diablement» fluide dans tous les sens du terme – et nous font trépigner d'impatience quant à la suite des méfaits de Yamamura, tant ce personnage fantomatique et démoniaque fascine. Une véritable enquête journalistique, elliptique, matinée de surnaturel qui privilégie le non-dit et surtout le non-vu, puisque Sadako (1) est à peine décrite sur une vieille photo et pourtant si présente. Telle l'araignée attendant son heure sur un coin de sa toile, elle ourdie son funeste projet du fin fond de son puits décrépit et boueux. Au sein de l'eau croupie, le mal se développe plus aisément. Dans un Japon en plein essoufflement, le retour à la spiritualité et aux sectes est un aveu flagrant et pathétique d'un pays en quête de repères. N'est-ce pas les échos de la mondialisation qui font feu ? On s'imagine en lisant le livre qu'on est en Algérie : une société où le vide a été érigé en art. Ring, c'est un peu cela. Un monde où l'égoïsme et l'indolence surnagent, sans parler de la misogynie. Où le corps et l'être ne sont plus envisagés d'un point de vue ontologique mais comme de simples incubateurs pour satisfaire l'orgueil et la colère d'un être hermaphrodite, supérieur puisque complet. La vacuité de l'existence et son absurdité ont poussé les personnes à se trouver des raisons de vivre, la peur en est une, la culpabilité ou le sacerdoce aussi. L'auteur va même plus loin, lorsqu'il affirme que l'homme a toujours eu besoin de crainte mystique – par rapport aux éléments extérieurs dans la vision shintoïste. Une nature qui abhorre la normalité et qui d'une manière ou d'une autre finit toujours par surpasser l'homme (éruption volcanique, variole, sida). Le mal est indissociable de son hôte. Cheminement d'un homme pris au piège du temps Passons sur les réflexions épistémologiques, dont le seul but est la démonstration du cheminement d'un homme pris au piège du temps et non le développement d'une véritable thèse cohérente, pour parvenir au cœur du problème : la vie, la donner, la vivre, la quitter. Asakawa se retrouve presque dans une position où il est obligé de vivre en ce sens qu'il doit faire des choix. Préférant jusque-là gamberger et ironiser sur le comportement de sa femme, cet être hiératique se retrouve face à lui-même. L'instinct de conservation ? Pas certain, car sa motivation première est de laisser une trace, partir avec l'impression d'avoir servi à quelque chose. Il envisage d'emblée sa mort comme certaine, et son enquête comme un moyen de remplir ses dernières journées. L'ironie de l'écrivain qui le renvoie à la fin de son sursis à l'endroit même où il a visionné les cruelles images la première fois n'a d'égale que celle avec laquelle il place Ryuji en position d'observer «les derniers instants de l'espèce humaine»… La préciosité des contacts et des rapports, notamment homme-femme (avec Maï Takano) en dit long sur le degré d'étouffement et d'entrave des individus. Qu'est-ce qui dicte nos choix ? Qui influence ces hommes au moment de violer une jeune femme ? Une image, une vidéo enregistrée par hasard en lieu et place d'un feuilleton populaire. Le libre-arbitre n'est-il qu'illusion, manipulé qu'il est par des instances supérieures ? Le seul véritable raisonnement que fera Asakawa le conduira en toute connaissance de cause à déclencher l'épidémie. La race humaine va péricliter. En cela est-il plus égoïste que Sadako, raillée, difforme, contaminée et violée de sa tour de prescience souhaitait un enfant ? Et cet égoïsme soigneusement dissimulé derrières des idéaux altruistes n'est-il pas ce qui nous permet de préserver notre intégrité physique, de poursuivre une existence absurde. Par Belkacem Rouache (1) Sadako Sasaki, fillette japonaise née le 7 janvier 1943 et morte le 25 octobre 1955 à l'âge de 12 ans d'une leucémie due à la bombe atomique d'Hiroshima. Elle est devenue depuis avec la grue en papier un symbole de la paix.