Dans un document de synthèse reprenant l'essentiel des conclusions des études qu'il a initiées sur la problématique de l'ouverture commerciale, l'économie informelle et le secteur de la distribution, le Forum des chefs d'entreprises (FCE) constate la persistance des dérèglements et autres dysfonctionnements qui nuisent profondément à l'économie nationale. Les trois études réalisées par le FCE indiquent, dans l'ensemble, la persistance de phénomènes négatifs qui contribuent à la déstructuration du marché national du fait de sa faible protection. Conséquence logique, l'ouverture commerciale a favorisé la croissance des importations dans les différentes familles de produits, et ces marchandises, provenant pour l'essentiel de pays émergents, où il est plus facile d'organiser la fraude, sont constituées en grande partie de produits contrefaits, donc de moindre coût, sous-facturés, de qualité douteuse, sinon dangereuse pour le consommateur. Ces produits sont écoulés dans le circuit informel qui ne cesse de prendre une ampleur inquiétante. Le contrôle, un instrument essentiel Face à ces pratiques déloyales, la production industrielle nationale a fortement décliné et la survie des entreprises locales est mise en jeu. De plus, le FCE enregistre le développement de pratiques informelles qui s'étendent dangereusement au secteur formel. Celles-ci se résument, entre autres, aux «ventes sans factures, sans garanties, sans service après-vente et sans déclaration fiscale». Les effets induits par ces phénomènes aggravent le dérèglement du marché qui continue d'évoluer dans un climat dominé par «l'absence de réaction massive des services de contrôle», à commencer par l'administration des impôts, l'inspection du commerce, la sécurité sociale et l'inspection du travail… Plus important, les rédacteurs du document font remarquer une croissance des importations de services qui atteignent une moyenne annuelle de 19% du total des importations. Mal cerné, le flux des échanges de services ne permet pas de «décider d'une politique d'ouverture efficiente des secteurs des services», d'où la proposition du FCE d'un diagnostic complet sur leur importance, leurs caractéristiques et leurs objectifs car «une ouverture non contrôlée» dans ce secteur risque de faire prendre à l'Algérie «des engagements contraires» à ses intérêts. Sans ces précautions, précise le document, la situation actuelle risque de s'aggraver, et certains fournisseurs de services, dans les secteurs commercial et financier notamment, sont soupçonnés de servir de tremplin pour des importations massives à partir de leurs pays d'origine. Le commerce informel, un danger réel pour l'économie La principale préoccupation du FCE reste focalisée sur le développement hallucinant du marché informel qui, selon ses estimations, emploie quelque 1,78 million de personnes sur une population active de 8,25 millions de personnes. Le FCE évalue à 35% la proportion de personnes employées à temps permanent ou partiel et non déclarées à la sécurité sociale, donc non recensées par l'administration fiscale. Les revenus générés dans ce secteur atteignent bon an mal an quelque 300 à 600 milliards DA, soit 17% des revenus moyens des ménages. Les conséquences de l'informel sont désastreuses pour l'économie : les pertes en matière d'IRG avoisinent les 42 milliards DA ; elles sont de 22 milliards pour ce qui est de la TVA et de… 120 milliards DA pour les prélèvements de la sécurité sociale. Ces estimations, indique le FCE, ne prennent pas en compte les pertes fiscales liées à la fraude sur les importations qui pourraient atteindre «des montants considérables en droits de douane, TVA et IRG ou IBS». Les rédacteurs du document reconnaissent que beaucoup d'administrations ne participent pas à la facilitation des procédures de création d'entreprises ou d'activités commerciales. Ils attribuent le recours à l'informel en grande partie à l'insuffisance du contrôle, aux prélèvements excessifs de la Cnas et, surtout, à la corruption qui gangrène des pans entiers de l'économie. Le secteur commercial dominé par les archaïsmes Les études lancées par le FCE s'intéressent au secteur commercial qui emploie plus d'un million de personnes (1 140 000 exactement) et dont 60% ne sont pas déclarés à la sécurité sociale ! 330 000 entreprises commerciales sont actives, réparties entre 280 000 commerces de détail, 30 000 commerces de gros et… 20 000 importateurs. L'étude dissèque le secteur, montrant que le commerce de détail s'exerce sous la forme traditionnelle (magasin ou épicerie) en l'absence de structures communes (centrales d'achat, de livraison, de stockage…). L'atomisation et le déséquilibre dans la répartition spatiale limitent la disponibilité des produits dans certaines parties du territoire. Conséquence : la concurrence ne joue pas sur la qualité et les prix, et les débouchés limités pour la production nationale. Outre le développement depuis 10 ans de la forme concessionnaire pour l'automobile, il est constaté l'essor de la franchise et de la représentation, exclusive ou pas, dans plusieurs segments. Ce phénomène n'est pas encore bien cerné, notamment au plan réglementaire. Le FCE rappelle que la prolifération des marchés informels est conséquente à l'absence d'infrastructures commerciales de grande taille, de marchés organisés et d'abattoirs normalisés. Le texte du FCE relève que le secteur commercial reste à la traîne et s'est peu modernisé. Les entreprises de production peinent à assurer la distribution de leurs produits et sont «singulièrement démunis en termes de techniques d'organisation commerciale». Et rares sont celles, moyenne ou grande, qui disposent de services marketing et commercial adéquats. En fin de compte, c'est le caractère archaïque du secteur commercial qui favorise l'informel, la concurrence déloyale, la désorganisation de la distribution et la fraude fiscale. La combinaison de ces phénomènes constitue un frein à l'essor de la production industrielle nationale d'une manière particulière et au développement du pays en général. Plus que jamais, l'Etat est interpellé sur la nécessité d'assumer ses missions régaliennes. A travers la réhabilitation des services de contrôle, suggère le FCE.