Il y a quelques années, dans une boite de nuit huppée d'Oran, un jeune homme dépensait comme un dingue. Il «flambait», comme on dit, sans retenue, comme s'il venait de trouver un trésor inespéré ou toucher un jackpot dont on a du mal à compter les zéros sur le chèque. Bien évidemment, le jeune homme était entouré d'une «armada» de filles, des professionnelles qui ne boudent jamais leur plaisir. Dans ces lieux, il y a des codes et des critères d'excellence. Pour le client, dominer son monde passe par la compagnie des «meilleures». Pour ces dernières, se situer au-dessus de leurs «collègues» passe par la table de quelqu'un qui sort des liasses jusqu'à donner le tournis. Et pour qu'il soit vu de tout le monde, le jeune homme devait aussi déborder sur sa généreuse table. Jouer au riche dans la discrétion n'a aucun sens. Quand on flambe, il faut que ça se sache. Et pour que ça ne rate pas, il faut aussi acheter l'attention de tout le monde. L'exubérance, l'ampleur de la gestuelle et les éclats de voix ne suffisent pas ? Il faut alors offrir des tournées générales, mettre le personnel dans sa poche par des pourboires presque embarrassants, enfin tout faire pour que ce soir, on reste le centre du monde. Enfin, «tout faire» est peut-être une façon de parler, puisqu'il suffit de payer, «mettre le prix». Il était le maître de la soirée, dans cette boite oranaise huppée, et beaucoup le regardaient avec mépris. Il le sait mais il s'en fout royalement puisqu'il était convaincu qu'il n'y avait aux tables qui l'entouraient que des gens qui l'admiraient. Ou mieux, le jalousaient, ce qui poussait son bonheur au firmament. Le jeune homme régnait sur la nuit, le monde à ses pieds. Et ici, personne ne le connaissait, ce qui ajoute une couche à la fascination qu'il pensait exercer sur tout son monde. Il n'était pas un client de l'établissement, et visiblement, il n'était pas connu à Oran, qui est tout de même un petit village où tout le monde connaît tout le monde dans le «milieu». Et puis, on ne passe pas inaperçu quand on dépense de telles sommes. Il devait donc certainement débarquer de loin. De quelque part ou de nulle part. Enfin, c'est la même chose, puisqu'on était à peu près sûr qu'il n'est pas d'ici. Lui ne se posait pas ces questions, qu'on le connaisse ou pas, on… le connaît à l'instant précis. Et pour qu'il en soit ainsi jusqu'à l'aube, il ne laissait aux clients de l'établissement aucun répit. Il inondait les lieux de breuvages, d'offrandes galantes, de petits caprices et de pourboires. C'est à croire qu'il avait de la haine pour cet argent dont il donnait l'impression de vouloir s'en débarrasser n'importe comment et rapidement. «Il veut être vite fauché», avait dit un voisin de table particulièrement inspiré à ses amis. Mais quoi qu'il pense, dans l'établissement, il n'y avait pas que ceux qui l'admiraient ou le jalousaient. Il y avait un policier qui s'est posé des questions. Il avait alors sollicité ses collègues de service dans le commissariat du coin qui ont vite investi les lieux. Dans sa voiture, ils avaient aussi trouvé d'autres liasses. Au commissariat, quand on lui a posé la question sur la provenance de cet argent, le jeune homme n'y a pas été par trente-six chemins : «C'est ma part de pétrole» ! Sa «part de pétrole», c'était le… crédit Ansej ! Et il était à plus de 100 dollars le baril aux moments des faits. Slimane Laouari Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.