L'avant-projet de révision de la Constitution a été dévoilé hier par le directeur de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, à l'occasion d'une conférence de presse à la résidence El Mithak (Alger). Le document de 182 articles contient certaines nouveautés, notamment l'officialisation de la langue amazighe, le retour à la limitation des mandats présidentiels à deux, le rétrécissement des attributions du président de la République, la constitutionnalisation de la mutation économique et de la réconciliation nationale et l'octroi de quelques droits à l'opposition. Ahmed Ouyahia a qualifié le texte de «contrat social national rénové», soulignant que «le projet a pris en considération des propositions des partenaires» qui ont pris part aux différentes consultations autour de lui. L'une des principales nouveautés de la loi fondamentale est la reconnaissance de tamazight comme langue officielle, qui vise à consolider l'unité nationale. Une académie lui sera également dédiée. Ainsi, après un déni identitaire de plusieurs décennies, le pouvoir a fini par se rendre à l'évidence que le déni ne pourra rester éternel. L'article 3 bis stipule que «tamazight est également langue nationale et officielle». «L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. Il est créé une académie algérienne de la langue amazighe, placée auprès du président de la République. L'académie qui s'appuie sur les travaux des experts, est chargée de réunir les conditions de promotion de tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle», lit-on dans le texte. Sauf que tamazight ne sera pas l'égale de la langue arabe. Celle-ci reste la «langue officielle de l'Etat». Aussi, elle n'est pas à l'abri de toute éventuelle modification dans la mesure où elle n'est pas «sanctuarisée», en effet l'article 178 du texte qui énumère les principes «intouchables» dans toute future révision, fait abstraction de tamazight malgré son nouveau statut «officiel». Autrement dit, cette langue peut très bien perdre ce statut comme suggéré dans l'article. Retour à la limitation des mandats présidentiels Le texte présenté par Ahmed Ouyahia a consacré le retour à la limitation des mandats qui a sauté en 2008 pour permettre au président Bouteflika de briguer un troisième puis un quatrième. «En 2008, il y avait une demande populaire en faveur de Bouteflika», a tenté de justifier le conférencier, expliquant que le retour à deux mandats permettra l'alternance démocratique au pouvoir. Le président de la République voit aussi son champ d'action rétrécir un peu. Ainsi, il ne pourra plus légiférer comme il le veut, sauf en situation d'urgence et en période de vacance du Parlement. Même pour la désignation du Premier ministre, il aura à consulter la majorité parlementaire. Quant au Premier ministre, il lui est fait obligation de présenter chaque année sa déclaration de politique générale au Parlement (article 84). Par le passé, cette disposition n'a jamais été respectée. Mais avec le nouveau texte, elle devient obligatoire quoique les attributions du Premier ministre n'ont pas vraiment évolué. Les droits de l'opposition renforcés Le texte proposé promet de renforcer l'opposition politique en général et l'opposition parlementaire en particulier. Ainsi, au titre de l'article 99 bis, l'opposition parlementaire jouit de droits lui permettant une participation effective aux travaux parlementaires et à la vie politique, notamment la saisine du Conseil constitutionnel au sujet des lois votées par le Parlement et la participation à la diplomatie parlementaire. Aussi, chaque chambre du Parlement consacre une séance mensuelle pour débattre d'un ordre du jour présenté par un ou des groupes parlementaires de l'opposition. Par ailleurs, le nouveau texte interdit le «nomadisme politique» aux députés sous peine de perdre leur mandat. L'avant-projet constitutionnel institue, en outre, une haute instance indépendante de surveillance des élections (article 170 ter). Elle est présidée par une personnalité nationale qui est nommée par le président de la République, après consultation des partis politiques. La haute instance dispose d'un comité permanent et déploie ses autres membres dès la convocation du corps électoral. La liste électorale est mise à chaque élection à la disposition des candidats. «La haute instance veille à la transparence et à la probité des élections présidentielles, législatives et locales, depuis la convocation du corps électoral jusqu'à la proclamation des résultats provisoires du scrutin», précise le texte. Le texte propose aussi de renforcer l'indépendance de la justice, les libertés individuelles et collectives, les droits de l'homme ainsi que la liberté de la presse. La mutation économique constitutionnalisée Elaboré dans un contexte économique difficile, marqué par la chute drastique des prix des hydrocarbures, l'avant-projet de révision constitutionnelle encadre la mutation économique du pays à travers la préservation de la propriété publique, la construction d'une économie productive, compétitive et diversifiée, la protection des terres agricoles et des ressources hydriques ainsi que la rationalisation de l'exploitation des ressources naturelles et leur préservation pour les générations futures. La future Constitution évoque également la garantie de la liberté d'investissement et de commerce, l'amélioration du climat des affaires et l'interdiction du monopole et de la concurrence déloyale. Cette mutation se matérialisera aussi par la protection de l'économie nationale contre la corruption, le trafic illicite et l'abus, et la répression de la fraude, l'évasion fiscale et la fuite des capitaux. A travers le nouveau projet, l'Etat s'engage à réduire les inégalités sociales, éliminer les disparités régionales et promouvoir la justice sociale.