Ceux qui lui témoignent tant de sympathie ne doivent pas savoir vraiment qui il est. Mais ce n'est pas vraiment important, ils savent ce qu'il fait et par les temps qui courent, ce n'est pas si mince. En tout cas suffisant pour que cela les touche, les interpelle et les pousse à «faire quelque chose» pour lui venir en aide. On ne sait pas qui il est vraiment mais on l'appelle «aâmi Mohamed», avec un égal dosage de respect et d'affection. Le vieil homme vend des tapis, des couffins, des chapeaux et quelques autres babioles en paille. Sa «boutique», un pan de trottoir sur l'avenue Pasteur, au cœur d'Alger. Selon les informations répercutées sur les réseaux sociaux, ce brave septuagénaire a été empêché de continuer son activité pour une histoire d'autorisation que la mairie d'Alger ne veut pas lui délivrer, ce qui fait qu'il est régulièrement prié de «fermer boutique» et de remballer sa marchandise. C'est un vrai militant pour l'avènement d'un monde avec moins de sacs plastiques dans la nature. L'empêcher de faire son travail est une aberration. Dans un pays déserté par ses choses saines et ses soucis d'esthétique, squatté par la mauvaise matière et le mauvais goût, voir qu'il y a encore des âmes capables de s'émouvoir pour un homme qui met un peu d'humanité dans les entrailles de la capitale a quelque chose… d'émouvant. Depuis le temps que la guerre est faite à ce que le terroir avait de meilleur pour faire place nette au toc, à l'argent facile, au danger et à l'agression des yeux, on commençait à se résigner à l'horreur comme espace vital. Dans un pays rongé par le sachet en plastique qui n'a besoin, lui, d'aucune autorisation pour nous pourrir la vie, entreprendre en dehors du fait accompli de la laideur et de la dangerosité devient une infraction. Si ce n'est un délit, comme ça en a l'air, dans le cas précis. L'effort consenti pour ressusciter des objets qui ont disparu jusque dans nos souvenirs, pour aller chercher la matière dans des espaces naturels aux disponibilités de plus en plus rachitiques et pour mettre du cœur à l'ouvrage ne sont plus récompensés. Et voilà qu'il est puni, maintenant. Mettre de l'imagination, du savoir-faire dans la façon de gagner sa vie en donnant de l'utile, du sain et du beau dérange. Il faut faire «comme tout le monde», toujours pas beau, souvent pas sain et parfois inutile. «C'est un écologiste dans la pure tradition algérienne. Foutez-lui la paix. Occupez-vous des marchands de pétards !», a commenté un vieux journaliste, tout en invitant les internautes à créer un large mouvement de soutien au vieux Mohamed. On ne sait pas vraiment s'il a besoin de vendre ses objets en paille pour vivre. Mais on sait qu'Alger a besoin de lui et de milliers d'autres comme lui, pour revivre. Slimane Laouari Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.