Bien que les femmes aient toujours chanté, réalisé de belles poteries, dessiné, lu des poèmes et joué à la derbouka chez elles, rares sont celles qui ont osé entrer dans le monde artistique dominé par les hommes. En effet, alors que le domaine de la poésie melhoun était dominé par Benguitoune, Smati et Ben Kerriou, une certaine Cheikha El Mokrania est sortie du lot en déclamant ses beaux poèmes. L'un des meilleurs poèmes de Cheikha El Mokrania est celui où elle raconte l'histoire de son berger ayant décidé de demander sa main après la mort de son mari. Au début du siècle dernier, une femme originaire d'un village de Djelfa, nommée Habba, est devenue la première chanteuse qui a vraiment passé le cap du professionnalisme en enregistrant un disque. Cette artiste, qui a profité de l'invention d'Edison avec la sortie du premier phonographe à disque cylindrique, a profité pour enregistrer une chanson au début des années 1900. Ce passage au professionnalisme de Habba lui a valu la colère de tout son village qui aurait décidé de l'extrader de la ville. Très audacieuse, la chanteuse Habba s'est inspirée de cette réaction pour écrire et chanter une complainte dans laquelle elle raconte ce rejet de sa famille et son village. Aujourd' hui, il n'existerait qu'un seul disque cylindrique de Habba que détiendrait un collectionneur de Djelfa. La deuxième femme qui a osé franchir le pas pour se faire un nom dans le domaine de la chanson, qui était alors réservé aux hommes, c'est Yamna Bent El Hadj El Mahdi, fille d'une famille respectable de La Casbah d'Alger. C'est cette dame qui ouvrira les portes de la pratique artistique, notamment dans le domaine de la chanson andalouse et hawzi, à toutes les femmes. Parmi ses élèves directes ou indirectes, il y a eu Meriem Fekaï, dite El Beskria, et Cheikha Tetma qui a quitté sa ville Tlemcen pour Alger. Ces grandes dames de la chanson seront suivies par Fadila Dziria et bien d'autres dont Latifa qui a enregistré sur disque 78 tours «Doum Enhebbek» et «El Ain Ezzerga». Alice Fitoussi, Noura, Nadia, Fettouma qui s'est consacrée par la suite au cinéma et Seloua, la doyenne des chanteuses. Il faut noter qu'à la fin années 1970, Alice Fitoussi qui ne pouvait plus subvenir à ses besoins a quitté la vie artistique pour devenir voyante à El Biar. Les chanteuses kabyles ont également eu l'audace d'entrer dans le domaine artistique. Il faut dire que la pression et le mépris ont poursuivi ces femmes même dans le milieu professionnel puisque bien qu'elle était célèbre, la grande Chérifa était recrutée en tant que femme de ménage à la RTA. D'autres ont suivi son parcours notamment Hnifa et Djamila. A-t-on pensé à ces femmes ? Dans le domaine du théâtre, c'est Keltoum qui, à la fin des années 1930, est découverte à Blida par Mahieddine Bachtarzi. Bien que Marie Soussan faisait déjà les beaux jours du théâtre aux côtés de son compagnon Rachid Ksentini, elle arrêtera sa carrière après la mort du plus grand humoriste algérien. C'est Keltoum qui restera dans l'histoire car elle mènera une grande carrière dans le quatrième art. Pour la peinture, deux femmes sont sorties du lot au début des années 1940. Kheira Flidjani et Baya Mahieddine. La première est partie à Paris où elle joua des petits rôles dans le cinéma pour financer ses cours de peinture. Après l'indépendance de l' Algérie, elle est revenue au pays pour une exposition mais ses tableaux ont choqué même les artistes de l'époque qui ne savaient pas encore ce qu'est un Nu. La grande artiste est repartie pour terminer une carrière à New York. Baya Mahieddine, la femme du maître de l'andalou, Hadj Mahfoud, après plusieurs expositions et des encouragements même de Picasso, a été menée à mettre fin à sa carrière avant de revenir quelques années avant sa mort. Au fait, a-t-on pensé à ériger des stèles ou à baptiser des institutions culturelles, mis à part un espace dédié à Fadila Dziria par l'INSM (Institut supérieur de musique) en hommage à ces femmes qui ont eu le courage d'affronter un domaine dominé par les hommes ?