Après une longue lutte contre la maladie, Fodil Baba Ahmed a baissé les bras hier. Il s'est tu définitivement, lui qui a pris l'habitude de jouer avec les mots et de «travestir» les langues. Sa chronique «El Guellil», dans le Quotidien d'Oran, qu'il a animée depuis plus de vingt ans, témoigne de sa passion et de son talent d'extirper aux mots d'autres sens. Il a excellé, notamment en intégrant des termes de la quotidienneté dans des textes chargés de lourds messages. Avec «Raina Raykoum», sa chronique est la marque de fabrique du journal où il évoluait comme un papillon virevoltant d'une rubrique à une autre et d'un service à un autre. Parce qu'il a fait du théâtre dans son jeune âge, il avait ce don d'insuffler de la gaieté et de la légèreté là où il passe. Notamment dans son milieu de travail. Ses confrères se souviendront de celui qui avait pris l'habitude de triturer sa moustache avant de proposer un titre pour un article. Il était chroniqueur au Quotidien d'Oran mais aussi SG de rédaction et directeur artistique. Il aimait apporter sa touche personnelle à la composition d'une page. Bref, Fodil, que tout le monde sollicite, à commencer par son patron avec qui il avait une grande complicité, touchait à tout. Et pour cause, il a fait trente-six métiers avant de chuter au Quotidien avec qui il s'est lié corps et âme. Il a exercé à l'imprimerie, un métier hérité de son père. Il s'est lancé dans l'édition des contes pour enfants avant de se reconvertir à la micro-édition. Mais son parcours, déjà riche, porte une case vide. Fodil rêvait de monter un journal pour enfants. Rêve jamais accompli faute d'un agrément. Pourtant, avec quelques-uns de ses amis, il a planché sur le projet au moins six mois en produisant un frigo. Rêveur, il l'était jusqu'à la fin de son existence. Grand connaisseur de la peinture algérienne, il devait monter une galerie d'art. Mais son engagement au Quotidien l'en a empêché. Donc, il s'est contenté de participer à l'organisation de certaines expositions, des fois en sponsor. Avec un tel tempérament rebelle, Fodil ne pouvait que se ranger du côté des causes justes, selon son entendement. Il a milité durant des années au Pags. Durant la décennie noire, les Oranais se souviennent de son poème qu'il avait déclamé à la Place du 1er-Novembre lors d'une manifestation populaire où il vilipendât l'APC d'obédience islamiste qui envisageait des manifestations culturelles. Il avait ce don de goual. D'ailleurs, «El Guellil», sa chronique qui a suscité l'intérêt de plusieurs universitaires et qui a fait l'objet de plusieurs thèses universitaires, a profité de ce don. «El Guellil» s'est tu. Pas facile de trouver une autre voix en mesure de se substituer à ses coups de gueule.