La décision d'importer un million de tonnes de ciment annoncée par Abdelhamid Temmar, ministre de l'Industrie et de la Promotion de l'investissement a suscité l'étonnement de plusieurs opérateurs du secteur du bâtiment, des travaux publics et de l'hydraulique (BTPH).Plusieurs questions ont été posées à propos des mesures prises précédemment pour la relance du secteur de cette industrie en Algérie, sur le développement de l'outil de production ainsi que la situation actuelle des différentes cimenteries. Ces interrogations concernent notamment la période choisie pour prendre cette décision. «Je ne comprends pas pourquoi décider d'importer un million de tonnes de ciment à ce moment-là. Nous sommes dans une phase marquée par la fin de la réalisation d'un programme quinquennal en attendant le lancement d'un deuxième programme qui compte des projets grandioses. Ce qui signifie qu'il n'y a pas réellement une importante demande en matière de matériaux de construction sur le marché local. Rien ne peut justifier le recours à une telle décision et ce moment précis» expliquera M. Ahmed Beldjezzar, président de la fédération du BTPH de la Confédération des industriels et producteurs algériens (CIPA). Notre interlocuteur dira que cette importante quantité de ciment n'est pas disponible sur le marché international et que son importation, qui va demander du temps, passera par plusieurs procédures administratives. «Les premières quantités n'arriveront sur le sol algérien qu'à partir du mois d'août prochain. Il ne faut pas oublier que nous serons à quelques jours du mois de ramadan, période où la cadence de l'activité de construction connaîtra une diminution importante à cause des congés de la majorité des travailleurs du secteur qui préfère rejoindre leurs maisons en cette période de l'année. Nous allons donc enregistrer un prolongement de la période de ralentissement, contrairement aux années précédentes» a-t-il ajouté. Le recours à l'importation de cette quantité énorme de ciment en cette période va, selon le président de la fédération du BTPH de la CIPA, favoriser, voire intensifier la spéculation dans la vente du ciment, de façon particulière et des matériaux de construction de façon générale, dès l'année prochaine au lancement des programmes inscrits dans le troisième mandat du président de la République. «Qu'est-ce que ça va être l'année prochaine avec le lancement de la réalisation du deuxième million de logements, des autres projets de routes, de barrages et des autres infrastructures de base ? La demande sera plus forte, il sera préférable de trouver des solutions afin de faire face à toutes les situations qui se présentent plutôt que de recourir à des solutions urgentes et qui peuvent porter un grand préjudice à l'économie nationale», a-t-il indiqué. La décision d'importer un million de tonnes de ciment a été prise il y a environ une année par les pouvoirs publics après avoir enregistré plusieurs crises sur le marché local. Prise au mois de novembre 2008, la décision a été annulée en janvier, sans donner plus de détails sur les raisons exactes de cette annulation et les solutions de rechange trouvées afin de parer à d'autres crises et fluctuations des prix. M. Beldjezzar s'oppose catégoriquement aux propositions faites par certaines organisations patronales concernant l'augmentation des prix du ciment. «Ce n'est pas la solution idoine au problème posé actuellement. Nos cimenteries sont capables et en mesure de produire des quantités suffisantes. Elles sont dotées de tous les moyens, des meilleures technologies et surtout des compétences humaines brillantes dans le domaine qui ont pu acquérir une expérience irréprochable en la matière», a-t-il expliqué. Absence de planification Le manque du ciment sur le marché local est dû, selon notre interlocuteur, à l'absence de planification et de stratégie en matière de gestion des cimenteries. Cette situation est la conséquence de l'intervention de plusieurs arrêts non programmés des unités de production en même temps. «Avant, la société de gestion et de participation avait un planning pour les arrêts des cimenteries pour les besoins de maintenance, de réparation et autres. Cette programmation permettait d'éviter que toutes les cimenteries ferment en même temps et causent des interruptions de produits sur le marché. Ça n'a pas été le cas ces derniers temps depuis l'arrivée des partenaires étrangers dans le secteur. La décision d'arrêter la production est prise par ces partenaires qui le font en même temps et sans obéir à une réglementation en la matière», a-t-il expliqué. «La planification a donc échappé aux pouvoirs publics qui se trouvent actuellement entre les mains des étrangers détenteurs de plus de 50% de l'outil de production nationale et qui appliquent leur propre programme», a-t-il ajouté. Le partenaire étranger est fortement présent dans ce secteur où il gère les plus grandes cimenteries du pays. Plusieurs exemples sont à citer, dont la cimenterie de M'sila (4 millions de tonnes par an) et celle de Relizane (2 millions de tonnes par an), gérées toutes les deux par Lafarge à 100%. Lafarge détient aussi 39% des actions de la cimenterie de l'ouest dont la capacité de production est de 650 000 tonnes par an. La cimenterie de Sour El Ghozlane (1 million de tonnes) est gérée par un partenaire italien et celle de Béni Saf par un saoudien. De pays exportateur à pays importateur ? Notre interlocuteur évoque également l'augmentation spectaculaire de la production nationale de ciment enregistrée durant les deux précédentes années. Une augmentation qui a permis à notre pays de passer de pays producteur à pays exportateur. «l'entreprise ACC a réalisé d'importantes performances en la matière. Elle a exporté un million de tonnes durant les années 2007 et 2008. Comment expliquer aujourd'hui que l'Algérie ait recours à l'importation de ciment pour faire face aux besoins exprimés ? Quelles peuvent être les raisons de ce déficit conjoncturel ?», s'est-il interrogé. L'exportation du ciment est, selon notre interlocuteur, une devise que pourra utiliser notre pays dans sa stratégie de l'après-pétrole en plus du développement du secteur agricole et autres. «Nous avons tous les atouts pour réussir à merveille cette option. L'Algérie peut devenir un pays exportateur de ciment car elle détient le gaz, ses carrières sont dotées des moyens, elles sont développées et prêtes à une plus forte exploitation, sans oublier toutes les substances entrant dans le cadre du processus de production, et à la main-d'œuvre qualifiée. Tout cela peut être utilisé en faveur du développement de l'exportation, et l'Algérie pourra exporter à des prix concurrentiels à l'échelle planétaire», a-t-il indiqué. Plusieurs autres mesures accompagnatrices doivent être prises pour réussir cette mission. Il s'agit notamment de la relance et du développement de l'activité de recherche et d'exploration des gisements des matières premières qui connaît un arrêt depuis une vingtaine d'années. L'Etat doit, dans ce cas de figure, reprendre l'activité d'exploration de ces gisements et créer des sociétés d'exploitation qui soient dissociées de celles qui activent dans le domaine de la production. Un plan d'exploitation de toutes les carrières doit être immédiatement mis en place. Sa gestion doit être confiée à un ingénieur des mines qui doit respecter et contrôler toutes les opérations et assurer une meilleure exploitation de la matière première, faute de quoi on va enregistrer une extinction prématurée de ces ressources de base. A une question sur l'absence d'investissement du secteur national privé dans la réalisation d'au moins une cimenterie, M. Beldjezzar dira que c'est le rêve que souhaitent concrétiser plusieurs opérateurs détenteurs d'expérience, de technologie de pointe et de potentialités énormes en la matière. «Ces opérateurs ne demandent qu'à bénéficier des mêmes facilitations et avantages accordés aux investisseurs étrangers, c'est-à-dire un cadre juridique, un soutien financier, un accès aux assiettes foncières, une exonération fiscale et un accompagnement», a-t-il précisé.