Le petit village de Souamaâ aura vécu une semaine qui a fait de lui un grand lieu d'art. Situé à une trentaine de kilomètres à l'est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, Souamaâ est envahi par des milliers d'artistes et de visiteurs, venus des quatre coins d'Algérie, mais aussi de beaucoup de pays étrangers. Environ 200 manifestations artistiques de tout genre ont eu lieu durant cette semaine. La route qui mène vers Souamaâ, en venant de Tizi Ouzou, borde les plaines et les terres agricoles du Sébaou. Une couleur jaunâtre domine les champs alentours. Sur les hauteurs, c'est comme un tableau peint par dame nature, où la verdure des forêts rivalise avec les couleurs bigarrées des villages perchés sur les montagnes. Cette semaine, une circulation automobile inhabituelle est remarquée sur cet axe routier, d'habitude désert en ces journées de chaleur torride. La chaleur suffocante qui caractérise ce coin de Kabylie n'a pu cloîtrer les gens chez eux. Au détour de quelques virages d'une route serpentée qui mène vers la haute Kabylie se trouve Souamaâ. A l'instar de tous les villages kabyles, celui-ci est connu pour être un coin paisible et tranquille. Un grand panneau, aux couleurs du drapeau national, souhaite la bienvenue aux visiteurs. A l'intérieur du village, qui est également chef-lieu de la commune qui porte le même nom, les décors bucoliques des campagnes propres aux villages kabyles se disputent les espaces avec les nouvelles constructions en béton. Des jeunes portant des gilets verts accueillent et orientent les nombreux visiteurs. Une grande agitation anime les ruelles étroites du village durant cette semaine, et pour cause, le village de Souamaâ reçoit, du 24 au 31 juillet en cours, le fameux festival raconte-art. C'est la première fois que ce village reçoit autant de visiteurs et d'artistes. La joie se lit sur les visages des gens. Dans tous les coins du village, des activités artistiques en tout genre se tiennent de jour comme de nuit. Non aux violences contre les femmes Mardi en fin d'après-midi, une jeune fille maquillée en couleur sang est ligotée. Elle se tient agenouillée. Silencieuse, elle se tient un bon moment dans cette posture, sans bouger le petit doigt. Une foule de gens s'approche d'elle, la prend en photo et attend de voir la suite de cette performance artistique. Pari perdu pour les dizaines de gens qui l'entourent ! Les artistes auteurs de cette performance attendent à ce qu'elle soit détachée par les gens qui la voient dans cette terrible posture. «C'est une performance pour sensibiliser les gens contre les violences faites aux femmes. Personne parmi vous n'a pensé venir sauver cette femme qui, comme vous l'avez vu, a été ligotée et ensanglantée», explique Naïli Arslan, un des quinze artistes de la résidence CISP. Les nombreux présents ont applaudi le jeune artiste avant de disparaître, honteux de leur «lâcheté». Les mêmes artistes tiennent dans les rues du village une exposition de toiles et de photos sur le même thème. «Nous avons été très bien reçus par les villageois. Notre travail ici leur plaît bien, et il a été très bien reçu aussi. Seulement, on nous a censuré quelques tableaux de femmes nues»… le comité de village est passé par là ! Batailles musicales A coups de mélodies, des chanteurs et musiciens rivalisent de performances dans les rues du village, au grand bonheur des mélomanes. Une bande d'artistes étrangers prend place dans une tente installée dans un petit lopin de terre au milieu du village. Munis d'instruments de musique, ils fredonnent de belles chansons en français et en anglais. En peu de temps, la tente n'arrive plus à contenir les visiteurs pour écouter les airs chantés par les artistes. Un jeune homme du village, qui se tenait quelques moments auparavant plus loin, s'approche de la foule. Muni d'un bendir, il prend place dans une petite tente du Croissant-rouge algérien, installée à quelques pas de l'autre groupe. Après quelques instants passés à chauffer son instrument, il lève sa tête vers les étoiles et, d'une voix rauque très forte, et un jeu parfait du bendir, il commence à interpréter des chants spirituels, notamment du défunt Amokrane Ou Gawa. Il est vite rejoint par une foule de gens, notamment des gens du village, amateurs de ces chants traditionnels. En peu de temps, le petit lopin de terre au milieu du village devient le rendez-vous d'une fête internationale. Bienvenue aux étrangers George Rivière est un graphiste français. Il vient pour la première fois en Kabylie pour prendre part à ce festival. «Je compte parmi les organisateurs beaucoup d'amis. Je suis venu pour la première fois et, sincèrement, je suis frappé par l'accueil chaleureux des gens. J'ai beaucoup aimé l'idée du festival car les participants en sont également les acteurs. Avec peu de moyens, ils ont su créer une magie incroyable. C'est un festival auquel j'espère réellement revenir», dit-il. Pour sa part, le jeune tunisien Ouahib Benchalla, habitué du festival, ne s'étonne même pas de cet accueil chaleureux. Il se sent chez lui. Accompagné de sa troupe, il a présenté plusieurs travaux artistiques sur plusieurs thèmes, entre autres la lutte contre la discrimination envers les femmes célibataires. Satisfaction... L'édition de cette année est très réussie, comme les précédentes d'ailleurs. Durant les deux premiers jours, l'ambiance été moins marquante que les autres jours. Les gens se découvrent, font connaissance. Les gens du village qui n'ont pas l'habitude de recevoir autant d'étrangers s'adaptent, au cours de ces deux premiers jours à cette nouvelle donne. «A Souamaâ, les gens sont réellement formidables. Ils ont vite adopté le rythme du festival. Ils sont accueillants et serviables et ont su donner une excellente image du village, de la région et aussi de tout le pays», dit Hassen Metref, organisateur de ce festival. «Cette année, nous avons quelques soucis financiers. Mais cela ne nous a pas empêchés de très bien réussir son organisation», dit-il encore au Temps d'Algérie. «Les répercussions sont paralysantes, car au lieu de louer une camionnette pour ramener des chaises par exemple, nous les ramenons sur notre dos», précise-t-il. La magie a prévalu Au bout de trois jours, le festival prend son rythme de croisière. Place à l'art et à la fête. Dans la soirée de jeudi à vendredi, c'est la star de la chanson kabyle, l'universaliste Akli D. qui, malgré un orchestre très réduit, a su créer une ambiance électrique dans la cour de l'école primaire de Souamaâ. Ne figurant pas sur le programme officiel du festival, la nouvelle du concert d'Akli D. s'est répandue comme une traînée de poudre dans toute la région. Plus d'une heure avant le concert, la cour est prise d'assaut par des dizaines de familles. L'autre d'Anfas i Laârvi tranquille, entre en scène accompagné par la chorale d'Aït Ouavane. Le chanteur, présent tout au long de ce festival, a su faire danser tous les présents. Même les agents de sécurité en gilet vert n'ont pas pu rester indifférents au rythme endiablé d'Akli D. Dans la soirée d'hier a eu lieu le grand carnaval ayradien, tiré de l'antiquité berbère. S'en est suivi le spectacle El Oued El Oued de Cahina Bari. Les nombreux festivaliers ont eu droit à un grand gala artistique dans la même soirée. La clôture de cette 13e édition de Raconte-art est prévue aujourd'hui à midi.