Dans quelle case devrait-on mettre le coup de gueule d'Amar Saâdani, hier, contre le général de corps d'armée, Mohamed Médiene dit Toufik ? C'est peut-être la seule question qui vaille quand on réécoute les différentes séquences de sa violente charge contre l'ex-officier supérieur de l'armée. Attardons-nous justement sur ce statut que Saâdani dénie à Toufik. Pour lui, l'ex-patron du DRS était plutôt le «fer de lance des officiers de la France». A la charge du SG du FLN, cette accusation gravissime, au demeurant, est une contre-vérité historique, puisque Toufik n'a pas servi l'armée française. Refermons la parenthèse et posons cette autre question : pourquoi donc Amar Saâdani a jugé utile de flinguer à nouveau le général, qui coule des jours sans doute heureux dans sa douce retraite ? Toufik n'a pas parlé, n'a pas envoyé de lettres et ne s'est pas plaint de quoi que ce soit pour trôner sur les manchettes des journaux. En le sortant brutalement et avec une virulence inouïe de l'oubli, le patron du FLN lève un coin du voile sur son petit secret : celui d'apparaître comme l'homme, le seul à pouvoir défendre le Président, les institutions, le FLN et plus généralement l'Algérie, quitte à prendre des risques. La nouvelle attaque contre l'ex-tout puissant Toufik est en quelque sorte la deuxième mi-temps du processus de façonnage d'un personnage hors normes dans le sérail algérien. En clashant l'ex-patron du DRS, Saâdani injecte une piqûre de rappel à ceux qui l'ont oublié et ceux qui ont prononcé prématurément son oraison funèbre politique. Toufik, le groupe des moudjahidine, la France, Rachid Nekkaz et Belkhadem ne sont que des acteurs passifs dans la poussée discursive de Saâdani, décidé à marquer son territoire. A dire, à qui de droit, qu'il est le maître à bord au FLN et que tout passe par lui. Y compris la confection des listes électorales qui font saliver bien des ministres en exercice et une faune d'hiérarques du parti. Le message subliminal est peut-être celui-ci : je suis le boss au FLN, je vous rappelle que c'est moi qui ai détruit le mythe Toufik, et suis tout à fait capable de commenter la politique étrangère. Vous devez donc compter avec moi, je suis loin d'être fini. C'est un peu la traduction fidèle du dicton populaire selon lequel : «La parole s'adresse à toi, mais le message à ta voisine.» Saâdani, qui était absent depuis des mois, a poussé certains à le tuer politiquement, surtout à l'approche des législatives pour lesquelles, on s'en doute, les luttes se font à couteaux tirés au sein de l'ex-parti unique. Il lui fallait donc une puissante rampe de lancement de ses piques en direction des requins du parti. Et le général Toufik reste un personnage de choix pour cet exercice dont raffolent les médias et qui permettait à Saâdani de soigner sa carrure. Politiquement, les propos pamphlétaires du SG du FLN qui pouvaient être interprétés au premier degré comme un coup de grâce à Toufik, est une planche de salut. Son ennemi (Toufik) est pour le coup son meilleur allié de circonstance en ce qu'il lui a permis de se (re)donner de l'épaisseur politique et faire taire ses détracteurs. Saâdani leur suggère qu'il est aussi incontournable qu'indépassable. Il s'est même permis de glisser deux mots sur la politique étrangère du pays, pour signifier qu'il est encore dans les bonnes grâces du Président et qu'il est au courant de tout. Il a ainsi lessivé Mahmoud Abbas pour s'être rendu à Tel-Aviv aux funérailles de Shimon Peres, alors même que l'Algérie n'a officiellement pas commenté l'affaire. Il a aussi dit son soutien à l'Arabie saoudite contre la loi Jasta (Justice Augainst Sponsors of terrorism) en vertu de laquelle les citoyens américains pourraient attaquer en justice le régime de Riyad. Là, également, même si la diplomatie algérienne n'en pense pas moins, elle s'est bien gardée de porter un jugement public, bien que la loi est effectivement scélérate. Mais pour Saâdani, se tailler une stature d'homme d'Etat en interne, passe nécessairement par une embardée à l'extérieur. Reste la question inévitable : le général Toufik va-t-il laver l'affront que lui a fait Saâdani ? Le silence est signe d'acquiescement. Et il le sait.