Le gouverneur de la Banque d'Algérie vient de présenter l'état des réserves de changes estimées, selon lui, à 114 milliards de dollars, en baisse continue. Comment analysez-vous cette situation ? Le volume des réserves de change de 114 milliards de dollars est conforme aux prévisions établies en août 2016, par moi-même, sur la base d'une estimation du déficit de la balance des paiements à hauteur de 30 milliards de dinars pour 2016. Ce qui est plus inquiétant encore que l'érosion de ces réserves qui sont le principal soutien du dinar, est le fait que les prévisions de la Banque d'Algérie étaient de 123 milliards comme solde de fin d'année et que le projet de LF 2017 prévoyait dans ses annexes que ce solde serait de 127 milliards. Une telle défaillance dans les calculs prospectifs, sur un volet aussi vital, que ses réserves de change, donne encore plus froid dans le dos que l'érosion prévisible de ces réserves. Il faut savoir que pour maintenir en l'état cette garantie internationale du dinar, il faut que le déficit de la balance des paiements soit réduit à moins de 5 milliards de dollars par an sur les 3 prochaines années. Et pour y arriver, il n'y a pas quatre mille solutions, mais juste deux : augmenter les recettes ou diminuer les dépenses en dollars. Et je doute fort que dans l'état actuel, les deux postes puissent évoluer en notre faveur pour plus de 10 milliards de dollars au maximum. Ce qui va laisser un déficit annuel de 20 milliards de dollars dans notre balance de paiements et autant de diminution dans nos réserves de change. Selon les prévisions du Premier ministre, les réserves de change ne baisseront pas sous 100 milliards de dollars à l'horizon 2019. Est-ce réaliste au vu de l'état actuel ? Comme je l'ai dit plus haut, avec des prévisions de recettes globales en devises, d'un maximum de 30 milliards de dollars, si tout se passe bien, il faut que les débours en devises, soient de 35 milliards de dollars au maximum, pour que les prévisions du Premier ministre se réalisent. Or, les prévisions du Premier ministre sont tirées de l'avant-projet de loi de finances 2017, lui-même inspiré du nouveau modèle économique, dont les prévisions tablent sur une amélioration substantielle des recettes durant ces trois années charnières, par effet d'augmentation des prix à 50-55-60 dollars, et une augmentation des exportations qui reste à prouver. Portant ainsi les prévisions de recettes à 35-40 et 45 milliards de dollars pour les trois exercices cibles, soit une prévision de recettes supplémentaires de l'ordre de 30 milliards de dollars de plus que l'exercice en cours. En contrepartie, les dépenses d'importation seraient réduites d'un total de 6 milliards de dollars sur trois ans. Ce qui ferait gagner à la balance commerciale un montant de 36 milliards en 3 ans, à soustraire des déficits prévisionnels. Ainsi, on passerait d'un déficit de la balance des paiements de 90 milliards de dollars sur 3 ans, dont 30 pour les services, à un déficit de 30 milliards de dollars, dont 19 pour les services et 11 pour la balance commerciale. Ainsi que sur un endettement extérieur de l'ordre de 3 milliards de dollars, sur trois ans, qui viendraient soutenir aussi bien le budget de l'état que la balance des paiements extérieurs. Et il ne faut pas oublier que toute cette étude est partie d'un faux solde des réserves de change estimé à 127 milliards de dollars au 31 décembre 2016, alors qu'il s'est avéré inférieur de 13 milliards à l'épreuve des faits. Il est évident que cette affirmation du Premier ministre n'est pas réaliste et repose essentiellement sur une vision bien optimiste des choses, en matière de revenus pétroliers, ce qui n'est pas de bon conseil en période de turbulences dans ce secteur. Mais aussi sur un rétrécissement des importations qui ne sera pas aussi facile à faire qu'à projeter, tant le gros des importations de biens et services est devenu incompressible, sauf à vouloir ralentir toute l'activité économique, ce qui ne colle pas avec un plan de relance bien réfléchi. Il faut tabler sur des recettes maximales de 35 milliards de dollars, sur les trois prochaines années et des dépenses de l'ordre de 55 milliards de dollars, ainsi que des déficits annuels de 20, au lieu des 30 actuels, comme maximum à tirer d'une politique d'austérité sans casse majeure. Et ceci donnera une érosion globale de l'ordre de 60 milliards de dollars, d'ici à 2019, soit un solde à cette date de 53 milliards de dollars, au lieu des 113 actuels, si les choses ne dégénèrent pas encore sur le marché pétrolier. Quelles seraient les conséquences de l'affaissement des réserves de change ? La conséquence directe et immédiate de toute érosion de ces réserves est la baisse des capacités d'intervention du dinar sur les marchés extérieurs et, donc, de sa valeur par rapport aux autres monnaies de référence. Une baisse de 30 milliards de dollars entraîne soit un tarissement du passif en dinars et de ce fait des dinars émis en monnaie scripturale dans les différentes écritures au fur et à mesure de la disparition des dollars équivalents des caisses, soit une dévaluation d'autant si le passif en question est incompressible. Et au vu de notre émission monétaire, il semble difficile de maintenir la valeur du dinar à son niveau actuel, avec des baisses régulières de sa contre-valeur en réserves devises, et une augmentation de l'émission pour des besoins budgétaires internes. Il faut faire un choix, réduire les budgets et les dinars distribués avec, ou la valeur de ces dinars, sinon, même la diminution des importations et déficits ne sera pas garantie à ce niveau de 20 milliards de dollars par an. L'endettement extérieur serait un palliatif à une érosion trop rapide de ces réserves, mais il ne faut pas s'attendre à obtenir des montants mirifiques de la part des créanciers, surtout s'ils sont sollicités directement par l'état pour couvrir ses trous de caisse budgétaires. Cet endettement ne pourra prendre des proportions conséquentes que s'il est destiné à financer des investissements rentables, fiables et pérennes et ceci ne pourra se faire que si l'état se désengage de l'acte d'investissement dans les infrastructures à destination économique directe, et avec une refonte de toute la législation-piège, élaborée à l'époque de l'aisance financière et de la bureaucratie arrogantes. A titre d'exemple, l'article 58 de la loi de finances complémentaire pour 2009, qui oblige les investisseurs étrangers, dans le cadre du partenariat, à un financement exclusivement local, n'a pas encore été abrogé, il ne profite qu'aux escrocs internationaux et bloque tout endettement dans le sens d'afflux de capitaux productifs. Il faut libérer le champ économique des entraves et des chausse-trappes posées précédemment par les responsables de cette situation catastrophique, et assainir le champ juridique de tous les textes orientés vers le blocage de l'acte d'investir ou sa soumission à d'autres centres que la loi, pour espérer avoir droit à un endettement positif sous forme d'investissements. Sinon, il n'aura rien, ni dans le bon sens, ni dans le sens voulu par nos bureaucrates.