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Michel Raimbaud, ambassadeur français à la retraite, au Temps d'Algérie: «Washington tente d'imputer à l'Iran le terrorisme soutenu par l'Arabie saoudite»
L'ambassadeur français à la retraite et conférencier, Michel Raimbaud, auteur de nombreux ouvrages, dont Le Soudan dans tous ses Etats, éditions Karthala, et Tempête sur le Grand Moyen, explique aux lecteurs du Temps d'Algérie, les raisons de la rupture diplomatique engagée par l'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe contre le Qatar, et le déchaînement contre l'Iran. Il explique comment la résistance de Damas contre le terrorisme financé par la monarchie pétrolière a faussé les calculs du roi Mohamed Ben Salman, de Washington et de certains pays de la région. Il n'écarte pas l'hypothèse que l'Arabie saoudite soit impliquée dans les attentats terroristes qui, il y a quelques jours, ont ciblé l'Iran. Le Temps d'Algérie : Comment interpréter, politiquement, la rupture, par l'Arabie saoudite et ses alliés, des relations diplomatiques avec le Qatar? Michel Raimbaud : La rupture des relations avec le Qatar (y compris le blocus qui lui est imposé) vise à mettre hors jeu ce petit Etat qui a surestimé ses capacités et a eu tout faux dans son évaluation des situations. Voyant dans les évènements qui ébranlent le monde arabe depuis 2011 une aubaine inespérée qui leur permettrait de satisfaire leur volonté mégalomane, les émirs qataris ont cru durant deux ou trois ans pouvoir s'imposer comme les leaders de la Ligue arabe ou comme les chefs de file d'une «révolution» musulmane paradoxale, au service de l'Occident et des monarchies pétrolières. Ils ont ainsi utilisé leur pouvoir financier et médiatique (Al Jazira) pour promouvoir le terrorisme et le djihadisme, en particulier en Libye et en Syrie. Tirant profit des hésitations initiales de la monarchie saoudienne déroutée par la déstabilisation de la région et la position complaisante de l'Occident, ils ont choisi de faire alliance avec la Turquie pour parrainer les Frères musulmans dans leur entreprise de casse des Etats républicains, modernes, résistant aux ingérences. Ce faisant, la petite monarchie wahhabite de Doha ne pouvait que heurter de plein fouet les ambitions de la grande, celle de Riyad. L'Arabie saoudite avait déjà tenté d'isoler le Qatar... Nous avions déjà assisté en 2013 à une première opération «marginalisation» du Qatar, entreprise sous égide saoudienne avec le soutien des autres monarchies du Conseil de coopération du Golfe. La crise avait débouché sur des changements au sein du pouvoir émirati et un recul temporaire de Doha. On avait cependant noté tous ces derniers temps un retour en force des Qataris, dans un contexte pourtant transformé. On notera à ce propos : l'échec de toutes les tentatives diverses visant à briser la Syrie légale, la solidité des alliances autour du gouvernement de Damas (l'Iran, le Hezbollah libanais, la Russie, le soutien de pays comme l'Algérie, l'appui de la Chine au Conseil de Sécurité), la coordination croissante avec les autorités irakiennes, la valse-hésitation de certains grands pays. Dirigée par un président émanant de la hiérarchie militaire, l'Egypte cherche apparemment une voie vers un rapprochement progressif avec Damas, la solidarité historique des militaires des deux pays ayant créé un climat de solidarité résiliente, et les succès militaires de l'armée syrienne et de ses alliés face aux forces terroristes. Autant d'éléments qui contribuent à entretenir une atmosphère de «fin de guerre» et d'adieu aux révolutions arabes. Faut-il y voir l'illustration de ce que l'on a pu appeler «la malédiction syrienne»? Longue est en effet la liste des dirigeants occidentaux et arabes qui ont quitté le pouvoir alors que Bachar al Assad, dont ils avaient prophétisé le départ imminent, est toujours à son poste. Le président américain ne cache pas le lien entre la crise diplomatique et son séjour en Arabie saoudite, il y a quelques jours. Donald Trump aurait-il dicté aux Saoudiens leur décision envers le Qatar? Ce qui vient d'être dit nous amène naturellement à mentionner, au nombre des facteurs qui pèsent sur l'environnement régional et international, les mutations intervenues au plus haut niveau l'année passée concernant des acteurs majeurs. Le coup d'Etat déjoué à Ankara en juillet 2016 a mis en évidence la vraie nature du pouvoir de Rajab Erdogan, son machiavélisme et sa folie mégalomane de prétendant à un nouveau califat. La promotion-éclair de Mohammad Ben Salman en Arabie Saoudite, et la mégalomanie brouillonne d'un prétendant au trône un peu trop pressé et peut- être imprudent, ont sans doute fragilisé le pouvoir saoudien en le rendant imprévisible et irréaliste. Le changement de locataire à la Maison-Blanche (décidé en novembre 2016 selon les règles à tiroir de la Constitution américaine) et l'élection de Donald Trump (dont la victoire semblait improbable face à Hillary Clinton) auront marqué une rupture par rapport à l'ère Obama. L'imprévisible et impulsif (pour rester dans l'expression diplomatique) président élu par le «pays profond» contre «l'Etat profond» introduit une certaine fantaisie dans la conduite de l'Amérique. Le chaos chéri par les Américains restera «créateur» et «in-novant», avec des aspects surprenants mais machiavéliques que «la reine du chaos» Hillary n'aurait pas reniés. Dans ces conditions, le lien entre cette crise diplomatique à laquelle vous vous référez et le voyage surréaliste de Trump en Arabie, ponctué de contrats mirifiques à coups de dizaines ou centaines de milliards, de danses du sabre effrénées, de cadeaux démentiels sertis d'or, de diamants et de dollars destinés à amadouer le bougon et peu diplomatique invité, ne fait guère de doute. Tel ou tel commentateur avait vu dans le montant des contrats octroyés par le régime des Salman à ce président picsou le prix à payer pour la neutralisation du Qatar et c'était plutôt bien vu. Donald Trump vient d'ailleurs de proposer ses bons offices à Riyad et à Doha, suggérant une réunion des protagonistes à Washington : il n'est pas exclu qu'il fasse maintenant payer au Qatar le retour de l'Arabie à de meilleurs sentiments… Sans trop s'avancer, on peut estimer que le lien existe entre la visite de Trump et la crise dont Doha est la victime. D'autant plus que le lancement de cette offensive diplomatique vise, au-delà du petit émirat gazier, deux grosses bêtes noires des Saoudiens et de Trump lui-même, à savoir l'Iran accusé par l'Arabie de tous les maux et désormais placé dans le collimateur du président américain, et la Turquie d'Erdogan qui n'est plus en odeur de sainteté ni à Washington (les provocations et manœuvres tortueuses irritent et inquiètent), ni à Riyad (pour des raisons de compétition stratégique autour du leadership régional, et de rivalité religieuse concernant la guidance de l'Islam). La rupture des relations diplomatiques aura-t-elle une incidence sur l'aspect sécuritaire dans la région? La rupture des relations diplomatiques sera-t-elle durable ? La suite dépend de l'objectif réel : ou simplement remettre le Qatar à sa place avant de «pardonner», ou plutôt tenter de fragiliser l'Iran en l'assimilant aux parrains du terrorisme que sont depuis le début des soi-disant «printemps arabes» le Qatar et la Turquie. Ce afin de mieux innocenter l'Arabie saoudite de son rôle avéré dans la création d'Al Qaida, dans les évènements du 11-septembre et dans la participation au financement du terrorisme sous toutes ses formes, notamment en Syrie. Présenter l'Iran comme un parrain du terrorisme en l'assimilant au Qatar (et implicitement à la Turquie) constitue une contorsion diplomatique grotesque. Le blocus allant de pair avec la rupture des relations pourrait avoir des incidences, prévues ou non, d'une part en jetant un peu plus le Qatar dans les bras de la Turquie (qui a une base sur le territoire de l'Emirat et proposerait d'y renforcer sa présence) et d'autre part en accentuant le tropisme «iranien» qui, lui, est déjà reproché, conséquence des… pressions saoudiennes. Le blocus marque le clivage entre les pays qui restent rivés à leurs préventions anti-iraniennes comme l'Egypte, les Emirats, le Bahrein ou…l'Arabie ainsi que l'un des deux gouvernements du Yémen (de Mansour Hadi), et ceux qui ménagent l'Iran comme le sultanat d'Oman, le Koweit qui a proposé sa médiation, ou l'Irak. Le blocus diplomatique accroît la pression sur les Frères musulmans et tend à suggérer (à tort ou à raison) une liaison avec Daech que l'on prétend combattre. D'après le président américain, la rupture diplomatique entre l'Arabie saoudite et ses alliés, d'un côté, et le Qatar, de l'autre, est le «dé-but de la fin du terroris- me». Que signifient ces propos? Dans une rhétorique Trump et une logique qui ne s'embarrasse guère de scrupules intellectuels, le Qatar et la Turquie sont intronisés seuls commanditaires et parrains du terrorisme, les Frères Musulmans et les groupes qui en sont proches devenant de facto les groupes terroristes par excellence. Il ne saurait d'ailleurs en être autrement puisque le camp d'en face, l'Arabie Saoudite et ses alliés (en premier lieu la bonne Amérique), combattent ledit terrorisme, malgré toutes les apparences. La rupture est donc «le début de la fin du terrorisme». Il suffisait d'y penser, car cet acquittement de l'Arabie va de pair avec une promotion de l'Iran au rang de responsable numéro un de ce terrorisme. Il aboutit à faire du Hezbollah une organisation clé du terrorisme, pour le plus grand bonheur d'Israël, et à légitimer en quelque sorte l'Etat islamique, puisque, selon les meilleures sources, c'est pour anéantir le Hezbollah qu'aurait été créé «Daech». Wikileaks a annoncé que les Américains savaient que l'Arabie saoudite et le Qatar finançaient le terrorisme. Pourquoi l'Arabie saoudite est-elle épargnée par les accusations américaines? Parions que vous avez deviné. Les affaires créent des liens forts. D'autant que cette exemption saoudienne permet de réaliser de juteuses affaires par centaines de milliards, assorties de créations d'emplois par millions… en Amérique bien entendu. Ces petites transactions entre amis n'excluent d'ailleurs aucunement une marche impitoyable de la justice américaine, qui pourrait déboucher sur des indemnisations colossales en faveur des familles des victimes du 11-septembre et des institutions publiques américaines. Après tout, une fois payés les contrats de l'oncle Sam, il restera encore quelques centaines de milliards de dollars dans les fonds de tiroir des fonds souverains saoudiens… Des attentats terroristes ont ciblé l'Iran. Cela a-t-il un lien avec la crise diplomatique dans le Golfe? Comme il a été rappelé précédemment, l'Iran est l'obsession des Saoudiens. Triomphe de la diplomatie américaine et israélienne, Israël n'est plus l'ennemi des Arabes et la cause palestinienne n'est plus leur cause sacrée. C'est l'Iran, qui n'a jamais agressé un Etat arabe, qui a hérité de ce rôle. Mohammed Ben Salman l'affirmait à l'occasion de la visite de Trump, l'Iran, censé être responsable par avance de l'affrontement à venir avec ses voisins du Moyen-Orient, doit être convaincu que la bataille ne se déroulera pas sur le territoire saoudien, mais sur son propre territoire. On ne saurait être plus clair. La revendication par Daech (qui peut être le fait de n'importe qui) ne fait que brouiller les pistes. Le fait que les attentats interviennent après la réélection de Ruhani à la présidence iranienne me semble également significative : rien ne peut servir de prétexte à une trêve concernant l'Iran.