L'université algérienne est en deuil. L'enseignant de droit de l'université de Khemis Meliana à Aïn Defla, Karoui Sarhane, a été froidement tué, à coups de marteau, dans la nuit de dimanche à lundi, par deux étudiants. Selon certaines sources, les deux étudiants se sont vengés après le refus de l'enseignant de les laisser tricher à l'examen. Une autre version est avancée, selon laquelle les deux auteurs du crime ne sont pas ses étudiants, ce qui attribue d'autres raisons au meurtre. Tahar Mohamed Benhadj, doyen de la faculté de Droit et des Sciences Politiques de l'université de Khemis Miliana a affirmé à TSA que «personne ne sait si les auteurs présumés de ce crime sont étudiants ou pas». L'enseignant de 44 ans qui habite Miliana et dont les parents sont de Gué de Constantine (Alger) a été tué à Tipasa, laissant une femme enceinte derrière lui. Les suspects sont deux frères qui habiteraient la cité où le corps a été trouvé. Le ministre de l'Enseignement supérieur a déclaré à un journaliste que les deux personnes qui sont originaires de Tipasa et d'Al Affroun ne sont pas des étudiants de Karoui. Celui-ci a reçu une communication téléphonique le soir du crime de la part d'un des auteurs présumés lui demandant de se rendre à Tipasa, wilaya d'origine de son épouse. Mais une fois arrivé sur les lieux, il est surpris par ses agresseurs qui lui ont ôté la vie. La triste nouvelle qui a vite fait le tour de la toile a suscité colère et indignation, surtout qu'une violence inouïe s'abat sur l'université. Les réactions ont fusé sur les réseaux sociaux, où la décadence de l'université algérienne a été déplorée. La violence est devenue monnaie courante dans ces lieux du savoir où les agressions contre enseignants et professeurs se multiplient. Mais en arriver aux assassinats, c'est ce que tout le monde appréhendait. Avec le crime contre l'enseignant de Miliana, on en est malheureusement là. Indignation Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, le Syndicat des enseignants du supérieur solidaires (SESS) a soutenu que le crime dont a été victime l'enseignant de Miliana traduit la «détérioration continuelle du climat au sein de l'université algérienne». Il rappelle l'agression d'un professeur à l'université de M'sila et l'intervention de la tutelle pour acquitter les agresseurs. Vers fin mai dernier, Mohamed Mili, enseignant à l'université de M'sila, a été victime d'une agression commise par un groupe d'étudiants. Le Conseil national des enseignants du supérieur (Cnes) avait dénoncé un «dangereux précédent». La victime, gravement blessée, et tombée dans le coma. Finalement, les agresseurs ont bénéficié de l'impunité totale. «On ne peut que récolter les fruits de cette politique où les organisations syndicales autonomes d'étudiants, de travailleurs administratifs et techniques et d'enseignants sont combattues pour laisser place nette aux baltaguias de l'université», regrette le syndicat des enseignants du supérieur solidaires (SESS). Les actes de violence à l'encontre du corps enseignant universitaire sont presque banalisés. Le syndicat n'a pas manqué d'appeler les enseignantes et enseignants à ne pas se laisser faire et à «adopter une attitude de résistance pour participer avec nous à la refondation du syndicalisme enseignant qui avait redonné dignité et respect à l'enseignant mais aussi à l'université». Otage du marteau Dans un post sur sa page Facebook, l'universitaire et chercheur en sociologie, Fodil Boumala, a exprimé son indignation quant à la situation de l'université algérienne qui «n'échappe à la poigne de la police que pour devenir la proie du marteau des étudiants baltaguis». «Quelle est cette université qui ne produit plus de la connaissance ni ne la transmet et qui est devenue l'antre où se déversent tous les maux du régime et de la société ? De quelle université parle-t-on alors qu'elle est devenue un territoire de l'absurde, du business, de l'allégeance et de la perversion des capacités et des ressources ? Quelle est cette université dont les doyens et les présidents, à quelques exceptions près, sont devenus des gestionnaires de la corruption, de la triche, du détournement de deniers publics, de la vente des notes, des moyennes et des diplômes ? Quelle est cette université qui produit l'ignorance, la violence, la corruption, et où l'ignorance assassine la raison», s'est interrogé M. Boumala. De son côté, le Professeur Dourari Abderrazak a dénoncé la situation de l'université algérienne : «On en parle depuis le début des années 2000 : nous-a-t-on écouté ? Plusieurs livres ont été dédiés à la descente aux enfers de l'université algérienne, nous a-t-on écoutés ? Le pouvoir (ex-premier ministre entre autres) a même trouvé à critiquer les sciences sociales pour être seulement des idéologies ; a-t-on réglé ce problème avec les sciences exactes ? On a proposé de changer le mode de nomination des responsables universitaires basé actuellement sur : «le plus médiocre est le plus souple de l'échine» vis-à-vis du pouvoir politique; cela a-t-il amélioré le sort de l'université ?», a-t-il lancé dans un commentaire sur facebook. Il avertit que «nous finirons par être face à un Etat et une société totalement dévitalisés». Des enseignants indignés appellent à la mobilisation: Sit-in demain devant le ministère Suite à l'assassinat de l'enseignant de droit de l'université de Khemis Meliana à Aïn Defla, Karoui Sarhane, des enseignants universitaires ont lancé un appel à un rassemblement devant le siège du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique demain matin. «Depuis le début de l'année, la violence dans les universités algériennes ne cesse de s'intensifier. Ben Aknoun, Batna, Bordj Bou arriridj, Msila, Dely Ibrahim et maintenant Khemis Miliana», ont-ils déploré dans un appel à mobilisation publié hier. Des enseignants et des intellectuels ont condamné, protesté, écrit, interpellé, averti… Pour quel résultat ? s'interrogent les initiateurs de l'appel au rassemblement. Ils expliquent que Karoui Sarhane a payé de sa vie l'indifférence, l'impunité, l'irresponsabilité et la banalisation de la violence assassine dans les universités algériennes. «Nous, enseignants, universitaires, intellectuels disons NON. Non à la spirale infernale qui tue l'université et ceux qui luttent pour sa survie. Rassemblons-nous jeudi 22/06/2017 à 10h30 au siège du MERS. Faisons que l'assassinat de Karoui Sarhane ne tue pas ce qui reste de notre dignité», lancent-ils.