Il y a des inculpés qui craignent pour les tares physiques qu'ils portent. Cet inculpé de violation de domicile avait une profonde balafre et il avait — sans raison — cru que Ouhida allait le fouetter à cause de son faciès. Non, le dossier du jour a parlé... Le détenu entre dans la salle d'audience, la tête haute. Une fois face à madame la présidente du pénal de Blida, il fait tout pour qu'une remarque fuse : «Vous allez bien, inculpé ?» - «Très bien, madame la présidente. Si vous faites allusion à la balafre sur ma joue gauche, elle date de plusieurs années à Koléa où un sinistre individu m'avait donné un coup de lame à raser... rouillée. J'ai frôlé la gangrène», répond fièrement le détenu à qui la juge rappelle qu'il était poursuivi pour commercialisation de drogue ! Il ne bronche pas. Il a plutôt l'air de chercher quelqu'un : son avocat ; maître Ouali Laceb, qui se trouvait juste à sa gauche et il ne l'avait même pas remarqué ! Ah l'émotion ! D'ailleurs, maître Laceb aura la plaidoirie la plus cool de sa carrière, juste après les attendues demandes de Denni, le jeune et élégant procureur, qui savait d'abord que le détenu était à la barre sous le coup d'une infraction et son statut de détenu était pour une autre histoire de détention, usage de came ! Et c'est pour cela que nous avions jugé utile de reprendre l'échange né à chaud entre Sofia Ouhida, la présidente du pénal de Blida, et l'inculpé qui avait au moins ceci de particulier : c'est un excellent communicateur. - «Oui, je suis certes un repris de justice mais pas un récidiviste, oui j'ai un casier judiciaire lourd mais vous ne lirez jamais deux peines sur le même délit, c'est vous dire que je suis beaucoup plus victime de délits de faciès que d'autre chose et quand je...» - «Non, non inculpé ! Vous n'allez tout de même pas nous faire un cours de droit, cela va faire douze minutes que le tribunal attend de vous que vous expliquiez la violation de domicile», intervient vivement la juge, qui va alors là aussi avoir droit à une acrobatie que seuls les beaux parleurs, qui crient à l'injustice, sont capables, d'en réaliser. - «Non, non. Le tribunal, l'honorable tribunal se trompe lourdement sur la violation de domicile. C'est la victime qui m'avait invité. D'ailleurs...» - «Vous connaissiez la victime pour qu'elle vous invite ?», demande avec beaucoup de sévérité dans le ton la magistrate qui allait être presque édifiée. - «Non, nous avions fait connaissance autour d'un pot avant de nous enfoncer dans les confidences pour faire plus ample connaissance autour de tout et de rien...» - «C'est vous qui le dites !», relève la présidente qui sait, elle, la magistrate rodée aux audiences difficiles, que l'absence de la victime à la barre allait jouer en faveur de l'inculpé. Madame la représentante du ministère public ouvre timidement la bouche pour réclamer l'application de la loi, c'est-à-dire que la juge est seule à pouvoir apprécier les faits, les dires et les non-dits. Sur le siège, la présidente regarde de front l'inculpé et dit sur un ton maternel : «Le tribunal n'a d'autre verdict que votre relaxe et ce que vous redoutiez n'est pas arrivé.» L'inculpé sourit et dit en direction de Sofia Ouhida, la présidente : «Ainsi ma balafre n'y est pour rien.»