Ce devait être le talon d'Achille de sa plaidoirie, hier, devant l'APN. Ahmed Ouyahia, dans ses nouveaux habits de Premier ministre, l'a pourtant retourné presque à l'avantage de son plan d'action. Par la magie du verbe, le financement non conventionnel, ou plus prosaïquement, le recours à la planche à billets pour éponger le déficit du Trésor, a subi une cure de dédramatisation dans la bouche de «Si Ahmed». Ne vous en faites pas, il n'y aura pas le feu, professa-t-il ex cathedra. A la bonne heure ! On ne demande qu'à croire… Le Premier ministre ne s'est pas encombré de contorsions et autres exégèses économiques pour brandir ses arguments qu'il pense massus et massifs. Les Etats-Unis, l'Union européenne et le Japon ont eu recours à ce type de financement. De quoi en mettre plein les yeux à nos autres néophytes de questions économiques dont on a du mal à assimiler les barbarismes. Mais ce qui est valable aux Etats-Unis et au Japon le sera-t-il forcément en Algérie ? Il ne s'agit pas d'un effet de mode qu'il va nous falloir copier-coller s'il n'est pas soutenable concrètement, et efficace économiquement. Le Premier ministre n'a peut-être pas trop le choix que de faire marcher la planche à billets, mais il aurait peut-être fallu le dire devant le peuple ne serait-ce que pour le prendre à témoin qu'il n' y a véritablement pas de solution miracle à notre impasse financière. Or, M. Ouyahia a même pris le risque de trouver un «impact positif» à l'option du financement non conventionnel sur les citoyens, l'Etat et les entreprises locales. De nombreux experts ont dû rire sous cape. Mais le Premier ministre leur dit que nous ne jouons pas le même rôle. Il n'a pas tout à fait tort du fait que lui, est tenu de payer les soldes des fonctionnaires et faire tourner la grosse machine de l'Etat, tandis que les experts font des calculs et des projections froids qui ne prennent pas en considération les dommages collatéraux de ce genre de mesures en termes politiques et sociaux. Il a raison aussi de dire que l'Algérie n'a pas intérêt à se coincer à nouveau dans les fourches caudines du FMI et de la Banque Mondiale en recourant à l'endettement extérieur. Ce n'est, certes, pas une hérésie économique pour peu que cet argent serve la croissance, mais les conditionnalités que l'Algérie a lourdement subies en 1994, dans le cadre du plan d'ajustement structurel, incitent à éviter le pire tant qu'on est capable du moins bon. Le grand oral d'Ahmed Ouyahia aura confirmé ce souci prioritaire du gouvernement de contourner autant que faire se peut les mesures antisociales, histoire de rassurer le peuple, et si possible, le gagner politiquement. Il va de soi que la planche à billets va permettre au gouvernement de se passer de l'impopulaire augmentation des taxes et des impôts politiquement très coûteuse dans ce contexte de grandes manœuvres en prévision de la présidentielle de 2019. Il est, par contre, remarquable que le Premier ministre n'ait pas jugé nécessaire d'évoquer, ne serait-ce qu'allusivement, les implications sociales de ce type de financement qui est, faut-il le souligner, une création de la monnaie de singe qui n'est pas adossée à une production de richesse. De la même manière, Ahmed Ouyahia a évité subtilement de reconnaître la responsabilité des gouvernements successifs dans la crise financière actuelle en précisant qu'elle a été «importée de l'extérieur». Cela n'est vrai qu'en partie. Certes, c'est l'effondrement des cours du pétrole qui a impacté gravement nos recettes en devises et plombé nos moyens de financement. Mais ce que ne dit pas M. Ouyahia, c'est que notre pays, gavé de pétrodollars débordants, a oublié de créer, donner du sens à ce vœu pieux d'économie hors hydrocarbures, dont on parle depuis des dizaines d'années sans jamais réussir à dépasser l'anecdotique milliard de dollars d'exportations. Dire la vérité au peuple, c'est aussi reconnaître «qu'on s'est cassé les dents», comme l'a dit un jour le président de la République. La pilule passerait mieux en même temps que le doux leurre du financement non conventionnel.