Les Algériens se parlent très peu lorsqu'ils se regardent dans les yeux, mais ils sont d'excellents communicateurs sur les espaces virtuels. C'est presque touchant, à voir les trésors de courtoisie, de tolérance et de patience déployés dans leurs échanges sur Facebook. Touchant d'abord par les montagnes d'obstacles dépassés, de tabous brisés et de différences respectées. Un exemple édifiant : le contact entre les deux sexes, problématique dans la société, est quasiment naturel, décontracté et évident sur les réseaux sociaux. Difficile d'imaginer un instant que la somme de rencontres, la qualité des échanges et le niveau d'écoute partagée sur la toile ne soient pas le prolongement de rapports réels dans la société. Un pays irréel est en train d'offrir une autre vie sur des écrans d'ordinateur, loin du quotidien souvent morose, où on ne se parle pas, on ne s'écoute pas, on ne se rencontre pas… Comme dans un consensus tacite, toute la faune de gais lurons qui se donne rendez-vous sur le net semble avoir compris : il faut préserver ce don du ciel si précaire parce que si loin de la réalité. On «touche du bois» et on continue comme s'il en avait toujours été ainsi. Et on rappelle gentiment à l'ordre les auteurs de quelques maladresses susceptibles d'ébaucher la glissade. Le commentaire politique ? Insignifiant dans le volume des échanges, il suscite rarement l'enthousiasme, mais révèle un état d'esprit plutôt rassurant. On partage, on exprime sa différence ou on ignore. Très loin des levées de boucliers, du procès d'intention et du lynchage, malheureusement monnaie courante dans une «autre vie». Plus rassurant encore, la curiosité intellectuelle occupe une place de choix dans les échanges. Les réflexions ont bien sûr le niveau de leurs auteurs — inégal — mais tout le monde ou presque semble faire des efforts pour ne pas «mourir con». Les spectacles, seul sujet avec prolongement dans le réel, sont l'une des rubriques qui suscitent le plus d'attention. Première surprise, il y en a, finalement. On se les recommande, on s'invite et on commente. Pour ceux qui ont tout raté, il y a toujours une vidéo, un tableau ou une photo pour se consoler. Très généreux, les internautes. Viennent enfin, plus abondants, l'humour et les humeurs. Décapantes, drôles, parfois désespérément plates ou carrément stupides, les publications ont au moins le mérite de l'intention. Le tout est un monde où on se parle. Face à la réalité, c'est déjà beaucoup, non ? Ah, une dernière pour la route : ce monde n'est pas si irréel que ça. Il existe, beaucoup l'ont même rencontré. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir