Purgatoire, fournaise, boulangerie à ciel ouvert... sont autant de qualificatifs qui reviennent sans cesse, tels une litanie, dans la bouche des Tiziouzéens ces deniers jours. Pour le commun des citoyens, c'est un fait, voire même une fatalité. Chacun essaie à sa manière de commenter ces journées caniculaires devenues la hantise de la population. L'extraordinaire montée du mercure qui, dit-on par ironie, déborde du thermomètre, est devenue le sujet principal de discussions de ces derniers jours. Outre les explications données par les services de la météo, les petites gens s'amusent aussi à donner leur propre version. Le premier à qui vous parlez de cette chaleur torride qui enveloppe la ville des Genêts n'hésitera pas à vous lancer à la figure cette phrase adoptée comme une explication logique de cette montée des températures : «C'est le barrage de Taksebt qui a aggravé le phénomène. Il est la cause principale qui génère un taux d'humidité anormalement élevé à Tizi ville et ses environs, et par conséquent une aggravation des températures.» A Tizi Ouzou-ville et à la Nouvelle ville, il ne fait plus bon vivre depuis que le mercure a atteint des seuils qui dépassent le supportable. Depuis plusieurs jours, l'astre diurne, transformé à ce qui s'apparente à une boule de feu, a contraint les gens à changer leurs habitudes. On se presse, on fait vite et on a dans l'esprit que le fait de s'abriter. Quand le soleil est au zénith, il tanne la peau, provoque des coups de chaleur qui peuvent être dangereux pour certains. Dès la matinée, il est déjà facile de deviner comment sera la journée. Au square du centre-ville situé juste à côté de la grande mosquée, le décor est toujours le même, notamment en ces jours de grandes chaleurs. Des grappes de vieux retraités se forment. On discute, on s'adonne à certains jeux et on commente certains événements après avoir épluché les journaux de la matinée. C'est notre lieu de rencontre, nous dira Ammi Ali, 70 ans, retraité des assurances. Il ajoutera, non avec dépit : «Où voulez-vous qu'on aille ou qu'on fasse ? C'est le seul lieu où l'on peut se rencontrer entre nous, au centre-ville. Déjà que les jeunes ne trouvent pas où passer leur temps en ce temps maudit !» Il est vrai que Tizi Ouzou est une ville qui manque cruellement d'espaces verts, de jardins et autres lieux de détente. D'autres personnes questionnées sur la façon dont elles passent ces journées caniculaires n'avaient pas besoin de chercher dans le vocabulaire pour les résumer comme Si Chrif, lui aussi retraité d'Algérie Poste : «Moi, je sors la matinée pour faire mes emplettes. Juste après, je rentre à la maison et j'y reste toute la journée à passer le temps en regardant la télé. C'est tout ce qu'il y a ! Quand le soleil décline, je sors de nouveau faire un tour en ville, mais jamais avant. Nous autres vieux, nous sommes vulnérables et on n'a plus le cœur pour aller ailleurs.» Petit à petit, la ville se vide. Tizi Ouzou grouille de monde principalement quand les habitants des villages y descendent. Dès que la chaleur commence à monter, ces derniers se retirent. Les rues deviennent alors désespérément vides. «Que vais-je faire si je reste ici dans cette fournaise ?», nous lancera Karim, habitant au lieudit la Crète qui fait face au vaste massif forestier de Mizrana. «Je préfère rentrer. Là-bas, au moins, il y a de l'air pur et de la fraîcheur à l'ombre des chênes-lièges !», ajoutera-t-il avec ironie. Si la Grand-rue reste quand même un peu fréquentée en dépit des fortes chaleurs, car étant la rue principale pour ne pas dire un passage presque obligé pour tous les passants, les autres rues de la ville donnent l'air de lieux désertés.
S'il y a des gens qu'arrange la canicule, c'est bien les vendeurs de glaces qui voient en ces pénibles moments de grandes chaleurs une occasion inouïe de doubler, voire même multiplier leurs ventes par quatre. La demande est trop forte sur ce type de consommations typiquement estivales. Les vendeurs de glaces voient leurs «boutiques» prises d'assaut par des personnes de tout âge. Des jeunes, des moins jeunes (hommes et femmes), des enfants font parfois la queue pour s'offrir une glace rafraîchissante. De nombreux passants ont des glaces à la main, qu'elles soient en cornet ou en boîte ou bien des esquimaux. Les bénéfices engrangés par les vendeurs dépassent tout ce qui a été espéré, comme nous l'a confirmé l'un d'eux. Pour fuir la fournaise, nombreux sont les Tiziouzéens qui fuient la ville pour s'installer dans leur villages d'origine en attendant de voir les conditions climatiques revenir à la normale. Mais le plus grand nombre est sans doute ceux qui prennent la destination de Tigzirt, la ville côtière la plus proche, située seulement à 35 km au nord du chef-lieu de la wilaya. Les dessertes assurées par des fourgons de transport de voyageurs sont incessantes. C'est le seul moyen de fuir la ville. Cette même ville où la vie devient cauchemardesque en été. Ils sont en effet des milliers à prendre cette destination pour revenir le soir, à la nuit tombée. Tizi Ouzou a toujours été une ville redoutée en été. L'exceptionnelle vague de chaleur qui s'abat sur la région depuis plusieurs jours a donné lieu à d'autres réflexes. Chaleur oblige, on s'adapte pour survivre.