Le médecin de permanence aux urgences est absent. L'agent de service s'y prend avec un père venu en catastrophe avec son bébé dans les bras. Et aux urgences, on soigne, on prend soin les uns des autres. Ce soir-là, l'ire et l'incompréhension ont été les vedettes qui verront le papa et l'agent de service comparaître devant la section correctionnelle du tribunal de Blida. Un père de famille a dans les bras un bout de bébé aux urgences. Il arrive en catastrophe. Il demande d'abord à ce qu'un médecin examine tout de suite ce bébé âgé d'à peine deux semaines. «Regardez-le, il respire à peine. Vite un docteur ! vite bon sang de bon sang !», aurait grommelé le papa âgé d'une trentaine d'années qui a, à sa droite, debout à la barre, un agent des urgences victime de coups et blessures dans l'exercice de ses fonctions. Paradoxalement, l'inculpé, jovial, n'a pas l'air terrible. Rabah Ouriachi, le président, va d'ailleurs «briser la glace» en se disant étonné qu'un gars BCBG soit inculpé d'un grave délit. «Alors, est-ce vrai ce qu'a raconté la victime le jour de la présentation», siffle-t-il avec son air de gentleman prêt à rendre service dans l'intérêt de la loi. L'inculpé, dont le collier noir, aussi noir que du cuir d'usine avant la confection d'un blouson... noir, dit oui mais prend la précaution d'expliquer le contexte du coup de tête balancé à l'agent. - «Il m'a envoyé balader. Il m'a désigné la bouteille d'oxygène en m'informant qu'à cette heure-ci, il n'y avait pas de médecin de permanence. Comprenez mon ire. N'importe qui aurait crié sa douleur...» - «Justement, vous n'avez pas crié de douleur. Vous êtes passé à l'acte en agressant l'agent», explique Ouriachi qui prendra la résolution d'entendre la version peut-être tronquée du contentieux. - «Monsieur le président. C'est vrai. Il était si excité que j'ai pris la liberté de lui désigner le matériel de réanimation en attendant l'arrivée du médecin qui n'allait pas tarder. Eh bien, sa réaction avait été de m'asséner un coup de tête de taureau qui m'a mis K.O. Je le jure !», dit-il. Six mois de prison ferme, «car les faits sont graves. Un coup de tête asséné aux urgences est un acte condamnable car gratuit et grave», a dit Denni, le procureur qui aura même un sérieux accrochage à la limite de la correction avec ce vieux renard de maître Azzouz qui entreprendra tout pour sauver les meubles et son client. En effet, maître Abdelmalek Azzouz, l'avocat de l'inculpé, présente son client comme étant un malade mental, «car, monsieur le président, on n'a pas idée à se présenter à 22 ans aux urgences avec un bébé de quinze jours et à être mal reçu !», s'est écrié l'avocat qui a tenu à rappeler que les Algériens sont constamment sur les nerfs et sur un volcan. «Imaginez un instant qu'un papa ramenant en catastrophe son bébé en danger de mort qui se voit être rembarré tel un malfaiteur !», s'est égosillé le défenseur qui a démenti les propos de la pseudo-victime. «Mon client a eu une mauvaise réaction devant l'état de son enfant, mais il nous est permis de poursuivre l'hôpital pour non-assistance à personne en danger. Les circonstances atténuantes doivent lui être accordées. La défense espère vivement que le tribunal aura saisi cette affaire, car elle s'est déroulée entre deux Algériens excités : le premier en voyant son enfant souffrir sans qu'il n'y ait une âme charitable pour mettre fin aux souffrances, le second excédé par l'absence intolérable du médecin de permanence censé être présent à 22h et un week-end.» Le juge a effectivement tout compris. Il a entendu tout le monde et a même apprécié le croisement de fer entre le représentant du ministère public et maître Azzouz qui aura réussi encore une fois à faire passer son message dont le résultat sera lisible à l'issue du verdict que prononcera Ouriachi, ce parfait juge du siège dont l'action est à louer.