C'était le 31 août 1980. Dahmane El Harrachi, qui avait prédit à ceux qui rêvaient du paradis en émigrant vers le pays d'autrui (Ya rayah leblad ennas) qu' ils devaient un jour ou l' autre revenir à leur pays natal, n'a pu voir sa prédiction se concrétiser, car il était trop tard... Il était déjà dans l'Au-delà. La mort qui ne connaît pas la cadence musicale était trop rapide que le rythme du chanteur et l'emporta dans un virage de Beni Messous, alors qu'il rentrait chez lui en cette soirée maléfique d'été. En cette soirée, l'artiste qui avait passé toute une carrière à appeler ses fans au maximum de vigilance fut pris dans le piège qui lui a coûté la vie. En cette journée fatale d'été, Dahmane revenait de la Madrague (Djemila), cette plage de la côte ouest d'Alger qu'il a aimée depuis fort longtemps, et il ne pouvait se passer de la revoir à chacun de ses retours au pays natal. La simplicité comme philosophie El Harrachi, de son vrai nom Amrani, dont le père fut muezzin à la grande mosquée d'Alger et aurait été imam à Médéa n'avait jamais oublié son enfance. Né à Fontaine fraîche près d'El Biar, le petit cordonnier deviendra par la suite receveur dans le tramway qui reliait Bab El Oued à son nouveau quartier, El Harrach. Ce nouveau métier, tout comme la cordonnerie auront permis à Dahmane El Harrachi de connaître les souffrances du peuple algérien durant les années difficiles de la Seconde Guerre mondiale et de l'avant-guerre de libération. Entre El Harrach, Bab El Oued et plus tard en France, il a connu tous les milieux, tous les vices et toutes les histoires de ces gens simples comme lui. La simplicité était la philosophie et le mode de vie de Dahmane qui se plaisait bien à se balader en bleu de Shanghai et espadrilles de halfa. L'artiste savait aussi que la beauté se trouve dans la simplicité. Dans ses chansons, il trouvait toujours le mot facile pour conseiller et avertir l'ivrogne, le naïf ou l'égoïste. Tant de ses chansons telles que Ya kassi, Ya lghafel, Elli heb eslahou sont toujours vivantes dans nos mémoires sans compter les nombreux succès de Dahmane El Harrachi que les chanteurs algériens et étrangers continuent à reprendre lors des différents galas, notamment Ya Rayeh. Un véritable chanteur du peuple Pour connaître et décortiquer les problèmes de la société algérienne, l'amateur de chaâbi n'a qu'à écouter les chansons du défunt Dahmane El Harrachi Derrière la modestie de ce chanteur de pur chaâbi, se cachait un La Fontaine aux fables écrites dans la langue du peuple. Le pêcheur, le marin, le commerçant et le chômeur écoutaient Dahmane et collectionnaient ses disques 45 tours en vinyl. Il faut dire que le chanteur, parolier et musicien qui avait choisi la chanson comme métier, avant son départ en France en 1949, n'a commencé à enregistrer que tardivement, mais ce retard est vite rattrapé. Bien avant l'arrivée de la cassette et du CD, ses disques se vendaient par milliers. Le public de Dahmane allait également s'élargir et toucher toutes les couches et même les femmes. D' ailleurs sa chanson Ya Rayeh a été reprise par des chanteuses. Elle a également été chantée par Rachid Taha et Ezzelzali. Dahmane qui vivait à Paris était toujours près de son pays auquel il a consacré plusieurs chansons dont Behdja Beidha Ya Dzayer et Manensach Biled El Khir. 29 ans après sa mort, le chanteur à la voix rauque reste l'un des rares à continuer à vendre ses chansons et même à avoir de nouveaux fans.