Ce qui gêne souvent nos juges, ce sont des délits où aucune preuve ni témoin ne viennent étayer les propos des justiciables. Et comme le tribunal juge sur des pièces, le verdict va souvent vers la relaxe. A Blida, mercredi matin... Safia, la cinquantaine, s'avance à la barre. A ses côtés, Samia, dix-huit ans, a le visage pâle et semble sonnée ! - Alors, on va mieux ? Le tribunal peut très bien renvoyer les débats, suggère la juge qui va, sitôt que les deux femmes eurent répondu qu'elles allaient très bien, leur signifier l'inculpation : vol d'une somme d'argent, fait prévu et puni par l'article 350 du code pénal. - Vous êtes la victime madame ? Venez à droite des inculpés, souligne la présidente de la section correctionnelle. La victime lança à la manière d'une justiciable qui ignore tout des us et coutumes des juridictions : «Madame la présidente, je ne veux que mon argent, je ne suis pas ici pour vouloir du mal à ces gens. S'il vous plaît, dites-leur de me rendre mon bien car j'habite loin, je vous assure.» - Vous croyez que c'est si facile ? La police vous avait avertie autour de votre plainte. - Calmez-vous et ne gênez plus le tribunal, coupe la magistrate qui va poser plus de quatorze questions pour n'obtenir que la moitié en guise de réponses toutes évasives. - Bon ça va, Safia reconnaissez-vous le vol ?- Mais madame, nous ne sommes restées que quelques minutes aux côtés de cette femme, elle ment, balbutie Safia. La présidente se fâche : «On ne dit jamais de quelqu'un qu'il ment. Dites plutôt qu'elle ne dit pas la vérité. Et puis, comment savez-vous ce que la victime a dit ? Elle n'a pas encore répondu aux questions du tribunal», articule la juge qui va d'ailleurs profiter d'un vide pour inviter justement la victime à raconter les faits. - Madame la présidente, je suis vraiment malade depuis le temps que l'on me demande de raconter les faits... ! - Et bien, vous allez pourtant nous redire ce que vous aviez déjà raconté, le tribunal n'est à la disposition de personne ici ! Il ne l'est qu'à celle de la justice. Alors, cessez de nous faire perdre du temps car votre statut vous protège certes mais il y a des limites à ne pas franchir !, tonne sans ire Safia Ouhida, la présidente qui surprend sur sa droite Denni, le représentant du ministère public en train de griffonner des «trucs» sur son registre. La victime commence par étaler cette histoire de prêt de vingt-sept millions à sa voisine qui était partie juste après qu'elle m'eut assuré qu'elle me rembourserait dans deux semaines, le temps que son mari revienne de France et lorsque je... - Madame, restez dans le vol car votre voisine n'est pas inculpée. Elle n'est même pas témoin. Que s'est-il passé ? Et revenez plus sur cette histoire de prêt, de grâce. C'est alors que la victime racontera qu'elle avait laissé sur le bahut plus de treize millions, le temps que je revienne de la cuisine... La victime, elle fait non de la tête... - Vous vous connaissez alors ? coupe Ouhida, le regard clair. -Oui, bien sûr, nous nous rendons visite de temps en temps, il nous arrive même de réaliser ensemble des affaires lorsque mon époux descend des Yvelines. - Ainsi, ce n'était pas la première visite ? questionne la juge. - Oui madame la présidente, mais c'est le premier vol que j'ai eu à constater, un vol chez moi, toujours à... - Madame, que voulez-vous à titre de dommages ?, tranche la présidente avant qu'elle ne transmette la demande de l'application de la loi murmurée par Denni, le procureur.