Sonelgaz est au cœur d'un nouveau scandale financier. Après celle de Sonatrach, voilà une autre affaire qui risque de faire couler beaucoup d'encre et de s'inscrire dans les annales de l'histoire de la justice algérienne. L'affaire en question concerne dix-neuf cadres de la deuxième plus importante entreprise publique du domaine de l'énergie. Plusieurs griefs sont retenus contre ces cadres pour avoir fait plusieurs transactions douteuses depuis 2004. Les 19 responsables, dont six sont sous contrôle judiciaire, sont accusés de détournement de sommes importantes des œuvres sociales de l'entreprise. Le préjudice est estimé à plus de 10 milliards de dinars. En plus de la passation de 12 marchés selon des procédures contraires à la réglementation, plusieurs autres lacunes ont été détectées dans la gestion des œuvres sociales de Sonelgaz. Les six mis en cause placés sous contrôle judiciaire sont A. T., président du syndicat de l'entreprise, membre du comité de participation, SG de la fédération de l'énergie, SG de la mutuelle, et secrétaire national à la centrale syndicale chargé des conflits, D. A., directeur général des fonds des œuvres sociales et culturelles, et membre de l'APW de Bordj Bou Arréridj élu RND, M. A., ancien directeur des fonds des œuvres sociales et culturelles, actuel directeur de la filiale de Sonelgaz maintenance parc véhicules (MPV), A. N., membre du conseil d'administration des œuvres sociales, président de la commission des finances, et président du syndicat de SDA, I. F., président de la commission des marchés, chef de département de la région d'Alger, A. A. S., vice-président de la commission des marchés, chargé de l'infrastructure, sont accusés de «conclusion de marchés publics selon des procédures contraires à la législation en vigueur en vue d'attribution de privilèges non justifiés à de tierces parties, dilapidation de deniers publics, abus de postes, collecte de dons sans autorisation. Les autres personnes inculpées, dont F. N., membre du conseil d'administration, vice-président de la mutuelle des travailleurs de Sonelgaz et syndicaliste de l'unité de Belouizdad, M. S., chef de division vacances, B. S., membre de la commission des marchés, Z. N., directeur des vacances, H. M. A., président de la commission d'attribution de l'aide sociale, B. A., médecin chef et membre de la commission des marchés, R. K., membre de la commission des marchés et responsable financier en fuite au Canada, sont accusés de participer à la conclusion de marchés douteux et à la dilapidation de l'argent public et trafic d'influence. Les mêmes chefs d'inculpation sont retenus contre trois directeurs d'hôtels à Oran et Béjaïa, et agences de voyages privées à Annaba et Alger. L'enquête menée par les services de la division ouest de la sûreté de Châteauneuf a été entamée le 4 avril 2009 et a révélé d'importants dysfonctionnements et de détournements dans le service des œuvres sociales de Sonelgaz. La présentation des mis en cause devant le procureur de la République a été achevée par le placement de six d'entre eux sous contrôle judiciaire. Six responsables sous contrôle judiciaire continuent de travailler Des sources proches du dossier affirment que «malgré cette décision de justice, ces personnes continuent d'exercer leur fonction et leurs prérogatives le plus normalement du monde au sein de l'entreprise. Elles prennent des décisions et passent des marchés comme elles l'ont toujours fait dans la mesure où la direction générale de l'entreprise n'a jamais pris la décision de les suspendre en attendant que la justice tranche sur la question», précise-t-on. Pis encore, nos sources précisent que «ces mêmes cadres ont exercé des pressions sur leurs collèges qui ont été appelés à témoigner dans cette affaire. Beaucoup d'entre elles ont été sanctionnées de façon illégale par des rétentions sur salaire et licenciements abusifs comme signe de vengeance pour avoir fourni des éléments d'information aux services chargés de l'enquête. A force d'intimidations quotidiennes, ces mêmes personnes ont été obligées de saisir la justice pour changer leurs propos», ajoute-t-on. L'enquête a porté sur des marchés douteux signés par les personnes inculpées. Ils concernent, entres autres, des vacances payées avec prise en charge totale à de hauts responsables de l'entreprise et à leurs proches pour des budgets faramineux payés totalement par les œuvres sociales, des omras offertes en contrepartie de services rendus, des prises en charge non justifiées inscrites dans le cadre de l'aide sociale, de collecte d'argent en contrepartie de la permanisation des employés contractuels. Les cadres mis en cause ont bénéficié de plusieurs prises en charge pour des séjours touristiques dans plusieurs pays du monde. Des voyages VIP sans payer un centime En 2004, la commission d'évaluation des offres, dans son PV élaboré le 26 juin de cette même année, a validé des séjours familiaux en Tunisie pour cinq cadres, en l'occurrence M. A., B. S., B. A., K. R., D. K. Durant cette même année, des destinations prestigieuses ont été retenues pour passer des vacances en Turquie, à Istanbul, à Antalya et en Tunisie pour quatre familles. Le coût global de cette opération a été de l'ordre de 2 665 850 dinars dont 1 066 340 dinars comme charges supportées par le fonds des œuvres sociales et culturelles, même somme assurée par l'entreprise et 533 170 00 supportés par le bénéficiaire. En août 2005, une prise en charge de séjour en Tunisie a coûté 3 584 782 dinars dont 1 433 972,80 dinars supportés par les œuvres sociales et 716 956,40 dinars à la charge du bénéficiaire. Pour ces deux années, 34 personnes ont bénéficié de vacances dans les pays cités plus haut pour un montant de 6 671 932 dinars dont les bénéficiaires devaient assurer 1 334 386,40 dinars. La même opération a été reconduite en 2006. Cinq cadres dirigeants de Sonelgaz ont bénéficié de séjours en Tunisie et au Maroc pour un montant global de 3 020 737 dinars. A titre d'exemple, selon la facture n°06-06 élaborée le 25 septembre 2006, le séjour de la famille de B. Z. a coûté 744 165 dinars dont 50% devaient être payés par l'intéressé. Dans une autre facture élaborée le 7 novembre 2006 par le directeur général du fonds des œuvres sociales et culturelles, il est précisé que le séjour de cette famille au Maroc a coûté 148 833 dinars. Il a été demandé au bénéficiaire de verser 74 416,50 dinars, soit 50%. «Ce qui prouve que les factures sont élaborées après le retour de voyage en fonction des dépenses effectuées par les bénéficiaires», précise-t-on. «Ces sommes n'ont jamais été remboursées par les bénéficiaires. La partie que l'entreprise devait prendre en charge n'a jamais été versée comme prévu dans la mesure où ce type de dépenses ne devrait pas être assuré par Sonelgaz. Comme solution, les bénéficiaires de ces voyages VIP ont passé toutes ces dépenses sur le compte des œuvres sociales sans payer un seul sou», précisent nos sources. «Même les gens qui ont versé ces sommes pour, soi-disant, rembourser une partie de la prise en charge ont vu leur chèque retourner pour motif de ‘‘surcharge''». L'autre exemple de mauvaise gestion et de transgression à la réglementation en vigueur concerne l'attribution des marchés. En effet, la commission d'évaluation des offres a attribué une prise en charge d'un séjour pour une famille d'un cadre en Tunisie, après lancement d'appel d'offres, à une agence de voyages qui a proposé une somme de 30 900 dinars alors qu'une deuxième agence avait évalué cette même prise en charge à 26 900 dinars. «La loi prévoit l'octroi de marchés au moins disant. Avoir un poste de permanent pour 5000 DA Dans ce cas de figure, l'offre a été jugée moins intéressante car l'agence retenue a accompagné tous ces cadres et leurs familles dans tous les voyages qu'ils ont effectués à l'étranger en leur assurant plusieurs autres facilitations. «L'enquête a relevé des prises en charge pour plusieurs personnes étrangères et une collecte d'argent illicitement.» Beaucoup de contractuels ont été sommés de payer une somme de 5000 dinars en contrepartie de leur permanisation. Cela a été le cas également pour l'achat de cadeaux à des cadres supérieurs de l'entreprise. Plusieurs syndicalistes ont été appelés à contribuer à hauteur de 3000 dinars pour le payement d'un écran plasma au PDG. L'achat de la première voiture de l'un de ces cadres inculpés a été fait grâce à la cotisation des travailleurs», révèle-on. L'enquête menée par les services de sécurité a dévoilé d'autres pratiques et anomalies encore plus scandaleuses. Les membres de la commission d'ouverture des plis et d'évaluation des offres ont délibéré sur une offre dont l'objet s'intitule «Mechoui tournoi national». Un mechoui à 33 millions de centimes La commission a retenu l'offre d'un soumissionnaire qui a proposé de fournir «un mechoui à 335 200 dinars TTC pour quarante tables de 12 personnes». La même commission a jugé l'offre «la moins disante, sous réserve de fournir le miel et le raisin sec avec le couscous», lit-on dans le PV de la commission. L'enquête a révélé également l'organisation de omras à titre gracieux pour plusieurs cadres et proches. «Dans cette entreprise, la omra est devenue une forme de corruption pour récompenser les services rendus. Plusieurs personnes, en plus de tous les membres du conseil d'administration, ont bénéficié de cette offre.» On relève également l'organisation d'un voyage au profit des enfants des cadres de Sonelgaz dans une crèche à El Kala. «La crèche a été louée gratuitement grâce à un lien de parenté entre un cadre de Sonelgaz et un du ministère de la Pêche. Mais la prise en charge a été estimée à 3,6 milliards. Dans le chapitre de l'action sociale, Sonelgaz a décliné une prise en charge au profit d'un fonctionnaire victime d'un accident de travail sous prétexte que «la société ne peut pas payer. On retrouve ensuite une facture de 1,182 milliard de dinars pour une opération de la prostate pour le conseillé du directeur général de l'entreprise, pour qui un avion spécial a été mobilisé pour le transporter». Le ministre, son SG et le DG de Sonelgaz informés Il a été souvent constaté dans ce genre de scandales que les premiers responsables des secteurs affirment qu'ils n'étaient pas informés de ces magouilles et malversations. Ce n'est pas le cas de Sonelgaz dont les responsables ont été destinataires de courriers adressés à M. Bouterfa à travers un huissier de justice. Une lettre et un dossier ficelé sur cette affaire ont été adressés en 2007 à Abbas Fayçal, secrétaire général au ministère de l'Energie et des Mines. «Ce dernier a dépêché un audit interne après avoir muté la personne dépositaire de cette plainte. Cet audit n'a rien confirmé car il a été détourné de ses objectifs.» Chakib Khelil a été, lui aussi, tenu au courant de tout ce qui se passait dans ce service. Une lettre en date du 28 janvier 2010, après une première transmise le 18 avril 2009, a été écrite par le délégué du personnel dans laquelle il est revenu sur toutes les malversations constatées. «Encouragé par votre position dans le dossier de Sonatrach, j'ai l'honneur de venir par la présente porter à votre connaissance les faits suivants : j'ai rencontré T. A., SG de la fédération de l'énergie, à qui j'ai dit pourquoi tu acceptes que l'argent du FOSC soit mal dépensé et que certains cadres dirigeants bénéficient d'avantages faramineux du FOSC pendant que d'autres ayants-droit n'arrivent pas à avoir le minimum. J'ai en ma possession des factures que je compte envoyer à Monsieur le ministre», lit-on dans la lettre. «Sa réponse à ma question m'a sidéré ! Tu penses qu'il ne sont pas au courant de ce qui se passe au FOSC. Le dossier est entre les mains du SG du ministère. Qu'est-ce qu'il a fait ? Je t'informe qu'il a bénéficié de deux logements Sonelgaz à Ben Aknoun», lit-on plus loin.» C'est troublant surtout que la Sonelgaz n'a pris aucune mesure conservatoire pour se protéger. Les responsables poursuivis en justice pour dilapidation de deniers publics dans ce dossier continuent de gérer l'argent public et signer des marchés. «Sonelgaz ne s'est pas portée partie civile», est-il ajouté dans la lettre. Sur ce dernier point, Sonelgaz ne s'est pas constituée partie civile pour protéger les biens de l'entreprise publique et n'a pas déposé plainte contre les accusés. «On pense que l'enquête judiciaire ne peut être déclenchée qu'après dépôt de plainte alors que dans la loi contre la corruption, l'enquête peut être menée sur une simple discussion que le juge d'instruction entend», précisent nos sources. C'est encore fois le délégué du personnel, M. Bouaza, qui s'est constitué partie civile. La demande de ce dernier a été difficilement acceptée. «A chaque problème ou détournement, l'entreprise a toujours saisi la justice pour déposer plainte. Cela a été le cas, entre autres, pour quatre caissiers dont le dernier, dépressif, contre qui la justice a requis quatre ans de prison pour vol de 40 millions. Mais ça n'a pas été le cas cette fois-ci.» Il est à noter que trois expertises ont été dépêchées pour enquêter sur cette affaire. Les deux premières n'ont rien démontré dans la mesure où les enquêtes se sont déroulées en présence des inculpés qui fournissaient les informations et les dossiers. La troisième a donné des résultats contraires puisque les enquêteurs se sont basés sur le travail élaboré par les éléments de la Sûreté nationale. La gestion douteuse des œuvres sociales et culturelles de Sonelgaz n'est que l'arbre qui cache la forêt. D'autres scandales, dont l'ampleur est plus importante, risquent d'éclater dans les prochains jours. Affaire à suivre.