La Casbah, cette citadelle qui porte son regard vers la Méditerranée, cette cité aux mille vestiges et trésors. La Casbah, une ville dans une ville, une cité antique, ottomane, algérienne. Mais que reste-t-il de cette Casbah algérienne ? Son statut est grand, sa richesse est immense, elle est classée patrimoine mondial ! L'organisation culturelle des Nations unies, Unesco, débourse des sommes faramineuses pour sa restauration, mais à ce jour rien ou presque n'a été fait. Si ce n'est quelques bricoles faites par des apprentis maçons qui narguent du revers de la main l'aspect historique et technique de restauration des sites historiques. A qui la faute ? Qui sait, au «mektoub», nous dit-on ! Les années passent, la dégradation s'accentue, ce grand corps malade demeure à l'abandon, elle est allongée en contrebas du mausolée du saint sidi Abderrahmane, l'homme au deux tombes (Boukabrine). Les ruelles de La Casbah qui grouillaient autrefois de monde et autres artisans ont laissé place à un vide, au néant. Excepté un ou deux sculpteurs sur bois et deux autres artisans du cuivre. Notre déplacement a coïncidé avec la visite d'une délégation d'hommes d'affaires français qui ont profité de leur séjour dans la capitale pour visiter La Casbah ou du moins ce qui reste de ce lieu mythique. Nous parcourons la haute Casbah derrière un employé de Netcom qui guidait son baudet à coups de bâton. Aâmi Rachid s'occupait du ramassage des ordures ménagères de La Casbah avant même la création de Netcom. Il en est à sa 28e année de service. Le poids des années a eu raison de ce fils d'«El Kasbah» comme l'aime bien l'appeler les anciens habitants de ce quartier. Aâmi Rachid déambule entre les venelles de La Casbah deux fois par jour, l'une à l'aube et l'autre le soir. A ce titre, notre guide nous informe : «La Casbah n'est plus celle qui m'a vu naître, elle a beaucoup changé. La plupart de nos voisins l'ont quittée pour s'installer ailleurs. Quant à moi, je m'occupe en ce qui me concerne : la bonne image de ces lieux.» Nous avons accompagné le vieil homme et l'âne jusqu'au sommet de La Casbah où nous avons fait une halte chez un témoin de l'histoire de cette belle citadelle. Au bout d'un chemin, nous tournons à gauche, là où se situe la boutique de Aâmi El Hachemi, un artisan qui boucle ses 50 ans de service en pliant et dépliant les feuilles de cuivre. Que des promesses ! A l'entrée de la boutique de cet artisan, nous apercevons une table ornée de pièces artistiques modelées avec une dextérité inégalée par l'artiste en chef. Les tables, les services à thé ou à eau dressés sur la table sont tous fabriqués et sculptés par Aâmi El Hachemi, il continue à mettre son savoir-faire à l'œuvre. Le vieux nous indique avec un goût amer : «Avant la période du terrorisme où La Casbah était un cachot favori pour ces égarés, La Casbah regorgeait d'une trentaine d'artisans tous domaines confondus. Les ruelles de la cité ne désemplissaient pas. Il y avait des touristes qui venaient de toutes parts et le commerce artisanal était florissant.» Nous avons interrogé l'artisan sur les aides qui proviennent de l'Etat, notamment pour la sauvegarde de ce métier ancestral qui risque de disparaître avec la disparition de ces maîtres. Aâmi El Hachemi rétorque : «Durant les années 1970 et 1980 cet atelier (c'est-à-dire le sien) abritait une dizaine de jeunes apprentis, mais avec l'ouverture économique et la création des marchés informels, ils ont tous abandonné pour le gain facile. Pour ce qui est des aides de l'Etat, je me limite à dire : que des promesses !» El Hachemi est un homme qui ne veut pas abandonner son métier, mais vu la diminution de la rente, il va sans nul doute fermer boutique. Quant à la clientèle qui s'intéresse à ces œuvres, Aâmi El Hachemi s'est dit à la fois choqué et content. «Je suis choqué du fait que notre peuple ne s'intéresse plus à ce genre d'œuvre, et content parce que les étrangers qui visitent ma boutique sortent les mains pleines. C'est une manière d'exporter notre culture vers d'autres horizons», a-t-il rétorqué. Il n'a pas tout à fait tort. Des objets de 200 ans à qui veut les prendre C'est une véritable caverne d'Ali Baba que nous avons eu la chance de visiter. La boutique de Aâmi El Hachemi cache vraiment des choses, des objets d'une valeur inestimable. Un plat de 80 cm de diamètre qui date de 1800, un plateau qui appartenait à une famille turque qui vivait dans la haute Casbah que ce vieux a hérité de son grand-père. Il est fignolé, décoré, sculpté à la main, les mains d'un maître turc en la matière. La valeur de cet objet selon l'artisan est inestimable, bien qu'un touriste anglais lui ait proposé, en 2007, un chèque de 20 000 euros en échange. Mais l'artiste a mis en avant sa fibre nationaliste en répondant : «Non, merci, je sais que c'est beaucoup d'argent, mais je préfère le vendre à un Algérien comme moi ou sinon le placer dans un musée.» Une autre pièce qui date de 1826 nous a été montrée, il s'agit de la main de Fatma, en référence à la fille du Prophète QSSL. Cette main sert à taper sur la porte, elle est appelée communément «tabtaba». Celle-ci aussi a fait l'objet d'enchères de la part d'un ambassadeur d'un pays occidental qui a offert 13 000 euros. Encore un niet catégorique de Aâmi El Hachemi. Avant de quitter ce monument de l'artisanat du cuivre, il nous a demandé de lancer son appel, celui de prendre en charge, en urgence, La Casbah. Mais aussi les artisans comme lui pour que l'Etat les aide car, «il arrivera un jour où tout disparaîtra si les pouvoirs publics ne s'en mêlent pas pour préserver ce secteur». Le nombre d'artisans à La Casbah équivaut aux doigts d'une seule main, alors qu'à la fin des années 1980 ce nombre était de plus de cinquante. C'est dire la déchéance qu'a connue ce secteur d'activité. A qui la faute ? Pas à nous en tout cas. A bon entendeur !