Aisée est la mission de l'avocat de l'inculpé de vol à l'arraché et de port d'arme prohibée. Aisée dans la mesure où le défenseur était très bien inspiré en plaidant le doute pour le second délit. Le premier était clair comme de l'eau de roche. Leïla, une jeune étudiante, est stoppée dans la rue, au niveau du cimetière de Koléa, par ce qu'elle a désigné comme étant un voisin constamment adossé au mur de l'agence de bus de la localité. «A la seule vue du couteau, j'ai failli m'évanouir. Je ne sais plus ce qui s'est par la suite passé. J'ai dû, par crainte d'être lacérée, remettre le portable que j'avais à la main», avait-elle dit aux enquêteurs. A la barre, elle tiendra la même version, mais avec d'autres mots. Le procureur avait lui aussi les demandes sur le bout des lèvres. Et au milieu des flots, le juge allait décider et juste ce qu'il faut pour obéir à la loi. Comme quoi, la bonne recette, c'est un avocat rusé, un procureur futé et un président expérimenté. Cela donne un procès agréable à suivre de bout en bout. C'est bon comme truc. En entendant les coordonnées de son client détenu pour vol à l'arraché et port d'arme prohibée, maître M'hamed Chemlel, l'avocat de Koléa, laisse son cher collègue maître Redouane Nouas sur le banc, se lève et avance de trois petits pas en direction de la barre, alors que Liès C., 27 ans, quitte le box et se dirige lui aussi vers la barre. En trombe, arrive Leïla M., une étudiante encore choquée par la vue de la lame qui luisait sous son petit nez et surtout d'avoir remis sans aucune résistance son beau portable à cet affreux Liès, qui avait pourtant pour habitude de la saluer. Elle, sa belle voisine, arrive, les cheveux en bataille et le foulard jeté aux quatre vents sur ses frêles épaules. Hadj Rabah Barik, le président, va alors, contrairement à ses habitudes, aborder les débats en quatrième vitesse ! - «Alors, inculpé, reconnaît-on les deux délits dans ce flagrant délit ?», marmonne-t-il, alors que Samir Hamel, le procureur, était resté debout comme s'il voulait rappeler au détenu que ce sont deux vieilles connaissances. - «Oui, monsieur le président, mais c'est elle qui m'a offert le portable», répond gauchement l'inculpé. - «Ecoutez, vous débutez très mal votre défense. Pourquoi vous a-t-elle offert le portable ?» - «Je la connais et c'est une copine...» - «Non, non. Elle ne peut être votre copine. C'est une étudiante, et ses seules copines sont les études. C'est plutôt à la vue du couteau qu'elle a fléchi», dit le juge. Maître Chemlel va alors poser une question à la victime. «Leïla, depuis quand connaissez-vous Liès ? Et où vous étiez-vous rencontrés ?» - «C'est un voisin que je vois souvent tous les matins adossé au mur de l'agence de Koléa. Il lui arrive même d'avoir un étal de bonbons», répond le regard fixe la victime qui ajoute : «Le jour de l'attaque, j'étais au niveau du cimetière car il m'arrive de changer de route pour rejoindre la gare routière.» Maître Chemlel ne dit rien alors que Liès cherche à dire quelque chose mais le magistrat l'en empêche. - «Vous ne parlerez que lorsque le tribunal vous le permettra. Monsieur le procureur, vous demandes, merci !» - «Deux ans de prison ferme pour ce récidiviste qui ne peut faire l'objet d'aucune circonstance atténuante», commente sans sourire Hamel. Maître Chemlel va alors assurer le tribunal qu'il n'allait pas être long, car «monsieur le président, dans ce dossier, nous avons deux paroles, celle d'un récidiviste et celle d'une jeune étudiante laquelle, paradoxalement, n'avait aucun témoin devant le cimetière, surtout que l'on n'a jamais retrouvé le portable soi-disant “offert” par Leïla. Et nous allons tenir notre promesse de ne pas être long car nous avons une seule demande : la relaxe au bénéfice du doute.» Un long silence s'instaure dans la salle. Barik va alors terminer comme il avait débuté l'audience. Il a vu Hamel, le représentant du ministère public, lever la main probablement pour répliquer à ce renard d'avocat de Koléa et demande aussitôt au détenu de prononcer le dernier mot avec ce vif et tranchant petit commentaire : «Le tribunal a demandé un mot, pas cent.» - «Je suis innocent. Demandez lui si...» - «Nous n'allons plus rien à demander à quiconque surtout que maître Chemlel a plaidé juste pour le vol du portable et le port d'arme où il a demandé le doute.» A l'issue de l'audience, Liès écope d'une année de prison ferme pour le vol du portable, car au cours des débats, il avait reconnu l'avoir revendu. La victime a vu ses droits être préservés.