L'affaire des billets de Bettencourt est en passe de devenir pour l'actuel président de la République ce que fut à son prédécesseur des années 70 l'affaire des diamants de Bokassa, mais elle est aussi, hélas, le tragique symptôme qui illustre le retour aux sources de la droite française. D'un certain point de vue en effet, le sarkozysme a rendu à la droite sa traditionnelle manière d'exercer la conduite des affaires de l'Etat. Au pouvoir, elle ne s'occupe pas des affaires, elle fait des affaires. «Là où l'argent règne, il ne faut pas s'étonner des effets qu'il produit», disait un ancien président de la République. Le sarkozysme, idéologiquement dénué de racines historiques authentiquement françaises, a ramené la droite française, culpabilisée par le pétainisme corrupteur, complexée par le gaullisme rédempteur, à sa nature profonde. Le sarkozysme a revitalisé la vraie conscience de la droite, ce cerveau reptilien en sommeil depuis 1944. Pour la droite française, l'argent est enfin redevenu l'alpha et l'oméga de la vie publique. Ce que l'affaire Woerth-Bettencourt révèle, ou plutôt confirme, c'est que la droite française, profondément, naturellement est de ce point de vue incorrigible. L'argent roi, celui des amis, «des copains et des coquins», est au cœur de l'action publique. Peu importe que la corruption par l'argent roi soit illégale ou illégitime, elle est ontologiquement liée à la droite. L'actuel pouvoir à une apparence : un quarteron de ministres avilis, incultes et formatés par les «éléments de langage» du prince qui les élève. Il a une réalité : une élite avide et cupide qui confisque l'économie de la nation pour son seul profit. L'affaire Woerth-Bettencourt, avec ses billets remis de la main à la main dans des enveloppes de papier kraft, ses petits arrangements entre amis, le mari ministre du Budget et l'épouse conseillère fiscale d'une des premières fortunes de France, ses charges contre le dernier contre-pouvoir, la presse libre et indépendante née sur le net et dont Médiapart est devenu le symbole à abattre, tout cela démontre, jour après jour, que la droite française, livrée au sarkozysme a-historique, déculpabilisée, décomplexée, revitalisée, en est rendue à l'état où elle se trouvait à la fin des années 30, lorsqu'elle préférait soutenir n'importe quoi plutôt que le front populaire, pourvu que l'argent règne. Le giscardisme triomphant des années 70, ce premier retour de la droite de l'argent roi, sur fond de restauration apparente de monarchie d'ancien régime, avait constitué une première tentative de rupture avec le gaullisme, d'où l'hostilité des vrais gaullistes à ce régime-là. Le sarkozysme, enfanté par le parti unique UMP, est, paradoxe étonnant, le continuateur du giscardisme, à une nuance près : Giscard était le produit d'une modèle historique authentiquement français, ce qui signifie qu'il avait intégré les leçons du passé. A ce titre, il n'avait pas hésité à se montrer réformateur (IVG, droit de vote à 18 ans, etc.), ce qui n'est pas le cas de l'actuel président qui, depuis le début de son mandat, n'a pas accompli une réforme marquant un progrès, dans quelque domaine que ce soit. Parfois, j'entends ou je lis, ici et là, que dans la perspective de l'élection présidentielle de 2012, certains s'inquiètent de la montée du Front national réincarnée par Marine Le Pen. Pour ma part, je ne m'en inquiète pas. D'abord parce que c'est le sarkozysme qui nourrit le lepénisme. Ensuite parce que si le sarkozysme nourrit le lepénisme, c'est bien qu'ils se ressemblent politiquement. Enfin, parce que compte tenu des deux points précédents, si le sarkozysme forge lui-même l'instrument de sa propre défaite, il n'avait qu'à rester gaullien, comme Villepin... On en revient donc à ce qui était dit au début de ce développement. Cette affaire des billets Bettencourt sera à l'actuel président ce que fut l'affaire des diamants à l'un de ses prédécesseurs. En pire.