Miloud, 64 ans, a séjourné plusieurs fois en prison, des séjours de 6 mois, deux ans, trois ans, cinq ans. 18 ans au total derrière les barreaux, sans compter les 7 années qu'il purge actuellement. C'est toujours pour de la drogue qu'il a été condamné. Il a été aussi relaxé à plusieurs reprises faute de preuves. Miloud est pratiquement passé par toutes les prisons d'Algérie. Il est qualifié d'indiscipliné et d'instable. Pour ses transferts, il use de ses méthodes. Il réclame pour l'infirmerie, pour le manger, pour un lit, s'accroche souvent avec les gardiens et observe la grève de la faim pendant des jours au cas où l'administration lui refuse son transfert. «Je ne peux pas rester plus de six semaines dans une prison», nous avoue-t-il. Le camp de Stiten Sa première condamnation remonte à 1985. Il a écopé de cinq ans de prison alors qu'il était chauffeur dans une entreprise publique. Son crime, c'est qu'il avait pris en auto-stop une connaissance qui portait du kif sur elle. Bien qu'il ait clamé son innocence devant les juges, le verdict a été impitoyable pour ce père de famille. Commence alors la galère. De la maison d'arrêt de Tiaret, il est conduit au centre de travaux forcés de Stiten dans la région d'Aflou, où les prisonniers arrachaient de l'alfa destinée à l'exportation et aux besoins de la Sonic (Société nationale des industries de la cellulose), un lieu disciplinaire sur les monts glacés de l'Atlas saharien, une zone où le thermomètre descend à plusieurs degrés au-dessous de zéro. «C'est le début du calvaire», dit-il. Dans ce camp de redressement, déclare Miloud, «il n'y a qu'une piste qui y mène. A leur descente des camions, les prisonniers sont attendus par des gardiens à cheval armés de fouets. Les détenus, tous menottés, escaladent en file indienne les chemins du campement distant de 3 kilomètres de la route nationale, un baraquement mobile à déplacer, selon le bon vouloir de ses responsables. Comme pour exhiber leur force, leur méchanceté et leur discipline, les gardiens fouettent de temps à autre les prisonniers qui ralentissent la marche. Ils n'ont aucune pitié les gardiens cagoulés munis de fouets et cravache. A l'entrée du camp, les bagnards reçoivent une gamelle, une cuillère et une tasse pour le café puis ils sont affectés dans des chalets où ils récupèrent des paillassons en crin et des couvertures toutes usitées et pleines de poux provenant des maisons d'arrêt de la région. A 6h du matin, bien qu'il fasse encore nuit en hiver, les prisonniers sont réveillés à coups de ferraille sur la grille. Dix minutes plus tard, ils prennent un liquide noirâtre que les gardiens appellent café, un jus de chaussettes amer. Après l'appel de 6h30, les prisonniers toujours escortés par des gardiens à cheval son conduits au petit trot vers les chantiers. Chacun d'eux est censé arracher 50 kg d'alfa par jour sinon c'est la punition. Pour échapper à la punition, les détenus sont obligés de corrompre les gardiens en leur offrant des cigarettes ou leur proposant de l'argent que nos parents leur donnent lors de la visite. En hiver, les mains gonflent à cause du gel. Les gardiens restent indifférents devant le sang qui coule des genoux et des mains. Les moyens d'arrachage n'existent pas, il faut se débrouiller. Une heure de pause est accordée, une heure durant laquelle on ingurgite une soupe infecte, quelques légumes dans de l'eau bouillie, une autre façon de saper le moral et la santé des détenus. Il est impossible de pouvoir s'évader de ce camp car les vigiles peuvent voir les fuyards à plus de 10 kilomètres. Ceux qui tentent de fuir sont sévèrement punis dans des cachots au milieu des rats. Miloud a assisté à de nombreux cas de folie et de suicide. Les morts sont enterrés sur place, rares sont ceux dont les dépouilles sont remises aux proches. C'est l'enfer», affirme Miloud en tressaillant alors que les autres détenus de l'établissement de prévention et réinsertion l'écoutent bouche bée. «C'est un hôtel où l'on ne règle pas la facture» En continuant son récit, il ne pensait qu'à sa libération, il ne commettrait plus aucune faute de peur de retourner dans ce gouffre. Malheureusement pour lui, il est écroué une deuxième fois pour une peine de deux ans, et ce, pour détention et commercialisation de drogue. Il avoue qu'il a essayé de rejoindre son poste ou de se faire recruter dans une entreprise nationale mais en vain, à chaque fois il se voit refuser l'embauche à cause de son casier judiciaire. Chez le privé, à l'époque, il ne peut que travailler comme manœuvre avec un salaire insuffisant pour nourrir sa famille. «Ce que je gagne en une année comme manœuvre, je l'obtiens en deux semaines en transportant le kif», fait-il remarquer. En prison, il a connu des barons de la drogue, des dealers et des passeurs au niveau de Maghnia. C'est avec ses compagnons de prison qu'il a pris attache après sa première libération, et ce, après avoir tenté de vivre honnêtement. Pour détention et commercialisation de kif, il est arrêté et jugé à plusieurs reprises sauf qu'à chaque procès, il est soit condamné à de petites peines soit carrément relaxé. «Avec le temps, j'ai appris à éviter d'être arrêté en flagrant délit, je sais comment déposer devant le juge instructeur, enfin, comment échapper aux lourdes sentences», reconnaît-il. Notre interlocuteur qualifie les prisons d'aujourd'hui de colonies de vacances. Les détenus se permettent le luxe de jouer au baby-foot, au football, aux cartes, aux échecs. Ils ont la parabole, les journaux, du café noir, du lait, de la confiture et des desserts, du Nescafé et de la limonade et se rasent avec des lames jetables. «C'est un hôtel où l'on ne règle pas la facture», reconnaît-il. En effet, en application des réformes pénitentiaires, la personne incarcérée est d'abord conduite chez le médecin puis chez le psychologue avant de prendre une douche obligatoire. Le service de détention lui fournit une brosse à dents, du dentifrice, un morceau de savon de toilette et du savon de lessive. Le menu est appréciable du fait que le détenu a droit à de la viande une fois par semaine, des desserts deux fois par semaine, de la confiture un jour sur deux. Le volet santé n'est pas négligé puisqu'il suffit au détenu de déposer un biffeton chez le chef de détention pour être reçu par le médecin, le dentiste ou le psy. Une prise en charge réelle, a-t-on constaté. Miloud, incorrigible qu'il est, ne compte pas se caser après cette peine. Il ne craint plus la prison. «On m'a forcé à vivre une autre vie que la mienne, je m'y plais, à ma sortie je vendrai de la drogue quitte à me faire arrêter. L'essentiel est que mes enfants ne manquent de rien», conclut-il.