Le Maroc a sorti, comme on pouvait s'y attendre, ses vieux arguments les plus galvaudés pour être pris au sérieux, pour tenter de justifier la révolte populaire au Sahara occidental qui tend à s'inscrire, cette fois, dans la durée. Démarches auprès des «amis» L'ambassadeur marocain à Bruxelles a été chargé par son gouvernement de pointer le doigt vers l'Algérie, l'«ennemi extérieur», qui aurait financé le «plan de déstabilisation» au Sahara occidental où le mouvement de protestation des populations sahraouies a été réprimé dans le sang. C'est de l'Algérie que le Maroc est allé, vendredi dernier, se plaindre auprès de Bruxelles, parce que c'est auprès de certains de ses alliés traditionnels et inconditionnels qu'il a le plus de chance d'être entendu ou compris et obtenir des «27», du moins, un silence complice sur les flagrants cas de violations des droits de l'homme dans l'ancienne colonie espagnole qu'il occupe, illégalement et militairement, depuis 1975. Il a donc soigneusement évité le cadre des Nations unies dont il connaît d'avance la réponse du Conseil de sécurité qui a voté depuis 35 ans résolution sur résolution lui faisant obligation de conduire le territoire sahraoui à la décolonisation. Le gouvernement marocain est parfaitement conscient que les parlementaires et les organisations humanitaires européennes l'attendent fermement sur la question des violations des droits de l'homme, à un moment où s'ouvrent les négociations entre Rabat et Bruxelles autour du renouvellement de l'accord de pêche UE-Maroc qui parviendra à expiration en mars 2011. «Le ridicule a tous ses droits» depuis 35 ans Depuis 35 ans que dure cette féroce répression, le ridicule des accusations marocaines contre l'Algérie a toujours eu tous ses droits. Selon la version marocaine, la question du Sahara occidental n'est pas un problème de décolonisation, posé comme tel par les Nations unies, mais un «conflit artificiel» créé par l'Algérie qui convoite «un accès vers l'Atlantique». Autrement dit, ce débouché vers la mer «vital» pour un pays qui dispose de 1300 km de côtes et dont au moins un port, celui de Ghazaouet, n'est qu'à une heure du détroit de Gibraltar. La révolte simultanée des populations dans toutes les grandes villes sahraouies, en mai 2005, présentée par la presse mondiale comme une intifada à la palestinienne, aurait été planifiée par la Sécurité militaire algérienne, selon Rabat. Ce sont aussi des citoyens algériens et non des Sahraouis et des sympathisants étrangers de leur cause qui viennent régulièrement manifester devant les ambassades et consulats marocains dans le monde, spécialement en Espagne. Usant du «principe de la réciprocité», les autorités diplomatiques marocaines organisent, elles aussi, des rassemblements de protestation devant les représentations algériennes en Occident, pour réclamer la libération des «frères séquestrés des camps de Tindouf». Même la grève de la faim de 33 jours observée par Aminatu Haider, en 2009, qui avait été suivie par toutes les caméras du monde avait été l'œuvre de l'Algérie. Le «sentiment national» En usant à volonté de ces clichés et stéréotypes, aussi anciens que le conflit sahraoui qui remonte déjà au 14 novembre 1975 à la suite de la signature de l'«accord de Madrid» sur le partage de l'ancienne colonie espagnole entre le Maroc et la Mauritanie, les autorités marocains adressent, en fait, un message non pas aux Européens, qui sont loin d'être dupes de la supercherie diplomatique du royaume alaouite, mais au peuple marocain. Aux seuls Marocains que le roi de l'époque, feu Hassan II, avait magistralement su mobiliser pour une cause qui n'est pourtant pas la sienne, mais celle des Sahraouis qui revendiquent leur droit de s'autodéterminer, à Al Ayoune, à Tindouf ou depuis l'exil espagnol. Le palais royal a trop joué sur le «sentiment national» du peuple marocain dans la question du Sahara occidental afin de masquer les insurmontables difficultés économiques et les profonds clivages sociaux dans le pays, pour revenir en arrière. Il est pris dans son propre piège «nationaliste» dont dépend la survie même de la monarchie. Il faut donc maintenir le regard du peuple marocain toujours tourné vers l'Est. Vers l'Algérie où le roi Mohammed VI a dirigé, le 8 novembre, son index dans son discours à l'occasion du 35 anniversaire de la «marche verte». Génocide sans témoins La diplomatie marocaine, confiée par le souverain alaouite à Fassi Fihri, l'un de ses camarades de classe peu rompu à cet art de convaincre, bat de l'aile parce que ni la France ni le gouvernement espagnol de Zapatero ne peuvent plus rien pour un allié qui a franchi la ligne rouge balisée par les droits de l'homme. Paris et Madrid continuent de «regretter» sans «condamner» la répression des manifestations pacifiques au Sahara et déclarent se donner le temps d'avoir tous les éléments en main pour pouvoir se prononcer moins timidement sur une situation où il y a morts et disparation d'hommes, en grand nombre. La torture dans les casernes et les commissariats, on peut déjà l'imaginer, s'agissant d'une répression aveugle, sans presse ni témoins. Toutes les équipes des chaînes de télévision et de radio espagnoles, les envoyés spéciaux des quotidiens à grand tirage ont été refoulés depuis l'aéroport d'Al Ayoune. Le même sort a été réservé aux parlementaires, avocats, membres des organisations civiles et observateurs internationaux qui voulaient voir de plus près ce qui se passe dans l'ancienne colonie espagnole et rompre ce qui ressemblait au départ à un génocide à huis clos. C'est le second «ennemi extérieur». Les intérêts économiques et le principe Pour le moment, les gouvernements européens alliés de Rabat s'imposent une prudence douteuse sur des faits graves qui contredisent jusqu'au principe de respect des droits inaliénables dont ils se réclament et qui constitue l'axe essentiel de leur politique étrangère. Un principe - à deux vitesses - que l'on fait valoir exclusivement quand il s'agit de condamner des dépassements, dans des pays moins importants pour les Européens que le Maroc, autrement moins graves que ce qui se passe au Sahara occidental. En réponse à l'absence de condamnation par l'Espagne du comportement violent du Maroc dans l'ancienne colonise espagnole, Zapatero a eu le mérite - ou la maladresse - de répondre depuis Séoul, où il participait vendredi au Sommet du G20, que le Maroc était un «partenaire privilégié» de l'Espagne. Trop clair comme aveu. Depuis Madrid, l'opposition politique et la société civile lui ont rappelé, aussitôt, avec indignation, que «les intérêts économiques aussi importants soient-ils ne peuvent pas altérer le prestige international de l'Espagne», avant de lui promettre un «chaud débat» au congrès des députés mercredi prochain.