Assiste-t-on, en Libye, à un passage du tout-militaire au tout-diplomatique ? Ça en a tout l'air. D'abord parce que l'Otan se veut plus attentiste qu'atlantiste qu'au tout début des frappes aériennes même s'il est vrai qu'une seule voix discordante parmi les trente que compte la coalition peut à elle seule annuler telle ou telle mission contre un objectif désigné. Cependant, il y a de ces déplacements et de ces propos qui ne laissent pas place au doute. Si l'envoyé spécial de Kadhafi était parti à Londres, ce n'était pas pour rendre visite à sa famille mais pour négocier la fin du conflit libyen. Il ne sera pas le dernier, un second émissaire s'est rendu à Athènes et ce n'est certainement pas pour faire du tourisme. Le messager du Guide a bel et bien été porteur d'une missive dans laquelle les Kadhafi sollicitent l'intervention de l'Europe pour qu'il soit mis fin aux combats. Ceux-là n'avaient-ils pas tout rejeté en bloc, misant sur la seule médiation de l'Union africaine ? Force est de croire que l'implosion du régime de Tripoli s'est faite sans bruit, derrière les murs de la forteresse d'El Azizia. L'opposition est formelle, les hôtels en Tunisie ne peuvent plus contenir les hauts responsables de l'administration qui ont pu filer entre les mains du colonel Kadhafi. Des liquidations physiques auraient même été perpétrées contre d'autres proches du pouvoir quand leurs projets d'évasion ont été découverts. Toujours est-il que les Kadhafi ont vu se vider autour d'eux les premiers cercles censés leur rapporter protection préten dument immuable. Face à cette faillite politique, il n'y aurait plus grand-chose à faire. D'autant que le commandement militaire libyen aurait perdu totalement le contrôle de ses troupes engagées sur les lignes de front. La solution politique s'impose donc. L'Otan a fini par y adhérer, le cauchemar irakien, nul n'a envie de le revivre dans le grand désert de Libye. Quel schéma adapté à cette solution autour de laquelle un consensus continue de se dégager ? A en croire le New York Times, au moins deux fils de Kadhafi proposeraient une transition vers une démocratie constitutionnelle qui prévoirait le retrait de leur père. Le Bédouin-révolutionnaire serait-il d'accord pour que Seïf El Islam et Saadi, qui ont fréquenté l'école occidentale, reprennent le flambeau, surtout que ses deux autres fils représentent la ligne dure ? Comment cracherait-il sur cette offre unilatérale, concoctée en famille ? Hosni Moubarak rêve toujours d'une pareille dérive monarchique qui aurait permis au prince Jamal de monter sur le trône. Le colonel ferait mieux que tous les rois arabes déchus : au lieu d'un successeur, il en aura deux ! Une transition sur mesure qu'il pilotera du belvédère de sa forteresse tripolitaine. En dehors de l'opposition, qui n'a pas tardé à rejeter cette tartufferie familiale, qui, dans la Jamahiriya libyenne, approuvera ce passage de relais qui n'aurait fait qu'office de ballon de sonde ? Une poignée de proches, pour ne pas dire personne. Mais imaginons, un instant, que tout le peuple libyen soit pris soudainement de folie et qu'il accepte que les deux fils de Kadhafi conduisent la supposée transition. Pourront-ils demain se rendre dans la ville martyre de Misrata, promettre à ses habitants affamés et meurtris de reconstruire ce que le père a fait exprès de détruire et indemniser les familles des victimes qui n'ont fait que réclamer pacifiquement plus de liberté avant que Kadhafi père et fils ne se mettent à tirer aux missiles Grad ? Soyons sérieux. S'il y a quelqu'un qui a encore le droit de proposer quelque chose, c'est bien le peuple libyen et lui seul. Quant à l'offre indécente de Seïf El Islam, elle n'a de place que dans la poubelle de l'histoire. Entre un siège à bord de l'avion présidentiel et un banc à la CPI, Kadhafi père et fils sauront-ils choisir avant qu'il ne soit trop tard ? L'Ivoirien Gbagbo et le Yéménite Saleh vont devoir s'y soumettre aussi.