Le Temps d'Algérie : Selon le dernier bilan de la Banque centrale tunisienne, l'économie tunisienne est entrée en récession durant le 1er semestre 2011, où le produit intérieur brut a enregistré une croissance négative… Mustapha Mekidèche : Contrairement aux rapports des institutions mondiales, notamment le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qui considéraient la Tunisie comme l'exemple de réussite économique dans la région du monde arabe, on vient de constater que le modèle en question ne fonctionne plus. Tout simplement, il est apparu que les analyses et les évaluations faites se sont basées sur des hypothèses inopérantes. Parmi les faiblesses de l'économie tunisienne, l'orientation des secteurs vers l'exportation, notamment envers le marché européen. Etant donné la situation de crise de l'économie européenne, la Tunisie a été touchée de plein fouet. L'autre élément expliquant la situation de crise économique ce sont les mouvements sociaux en Tunisie, entre autres, ceux des organisations syndicales qui réclament plus de droits aux travailleurs tunisiens, dont un salaire décent. Il y a quelque temps, la Tunisie a basé sa communication, pour attirer les IDE, sur l'avantage du coût de la main-d'œuvre considérée comme l'une des plus basses de la région. Aujourd'hui, les Tunisiens ne veulent plus travailler avec des salaires bas et sans le respect des droits élémentaires des salariés, telle que la couverture sociale et la titularisation. Ces mouvements ont considérablement pesé sur la vie économique tunisienne. Le troisième élément qui a influé est la situation du tourisme tunisien. Le secteur touristique influe directement sur la croissance de l'économie tunisienne. Aujourd'hui, l'industrie touristique tunisienne est en recul à cause de la situation sociopolitique instable. Tous ces facteurs expliquent la récession de l'économie tunisienne. Est-ce que la Tunisie doit compter essentiellement sur le secteur touristique ? N'estimez-vous pas que le choix de cette activité comme ressource s'avère une erreur stratégique ? Ne fallait-il pas penser à d'autres alternatives ? D'abord, la Tunisie a besoin d'un système politique stable et représentatif de toutes les sensibilités idéologiques. Pour le moment, les dirigeants tunisiens ne peuvent pas envisager des solutions aux problèmes économiques, notamment les choix stratégiques à opérer. Ils ont besoin d'une stabilité politique durable, où toutes les forces politiques seront représentées. Et le secteur du tourisme a besoin d'une stabilité politique et surtout sécuritaire. D'ailleurs, même les touristes algériens vont diminuer par le fait que le facteur sécuritaire présente un élément déterminant lors des voyages et des séjours à l'étranger. Selon vous, la guerre en Libye a-t-elle eu un impact direct ou indirect sur la situation de la Tunisie ? Effectivement, la guerre en Libye a eu un impact considérable sur la Tunisie. Les Libyens étaient nombreux à visiter la Tunisie durant les vacances et investissaient chez le pays voisin. Mais avec le déclenchement de la guerre en Libye, il y a plus de réfugiés en Tunisie que de touristes. Il y a eu soudainement un retournement de situation qui fait que la Tunisie a perdu un marché important. Les travailleurs tunisiens qui vivaient en Libye ont dû renter dans leur pays, mais sans aucune perspective. Du coup, la Tunisie perd les transferts d'argent de ses ressortissants installés en Libye. Il y avait beaucoup d'entreprises tunisiennes en Libye, mais aujourd'hui, tout est perdu à cause de cette guerre. La Tunisie peut-elle compter sur le soutien des pays européens qui ont manifesté leur disposition à aider les pays arabes qui ont connu des révolutions ? Les pays européens ont d'autres soucis à régler. Ils n'arrivent pas à s'entendre sur la crise grecque et portugaise et souffrent d'un endettement public incroyable. Je ne vois pas comment ils peuvent solutionner le problème tunisien. Sur le plan formel et officiel, les dirigeants des pays européens peuvent faire des promesses et dire que nous sommes solidaires avec la Tunisie, mais sur le terrain, leurs ressources ne leur permettent pas de donner des aides substantielles au peuple tunisien.
Est-ce que l'Algérie peut mettre à profit la situation tunisienne pour nouer des relations de partenariat plus poussées et envisager une coopération dans les domaines du tourisme et de l'industrie étant donné l'avancée réalisée par les Tunisiens dans ce domaine ? Pourquoi faire appel aux Tunisiens, alors qu'on peut acquérir ces technologies et ces expériences auprès des pays avancés ; c'est-à-dire l'Europe. Il peut y avoir des échanges et des partenariats dans le domaine des services, du marketing. L'Algérie est à la recherche de la haute technologie et des industries de pointe, alors que la Tunisie est basée sur une économie de sous-traitance. Elle n'a pas réellement bénéficié d'un réel transfert de savoir-faire européen comme tentent de le faire croire certaines analyses. La Tunisie ne dispose pas donc d'une économie basée sur l'innovation, mais plutôt basée sur la sous-traitance. Elle est encore loin du stade de l'innovation technologique. La crise tunisienne peut-elle avoir un effet sur l'Algérie ? Sur le plan économique, il n'y aura pas d'effet direct. Les échanges entre les pays arabes sont encore négligeables. Il n'y aura pas donc d'impact direct.