L'Algérie avait donc de bonnes raisons de s'inquiéter de la présence de membres d´Al Qaïda dans les rangs de la rébellion qui est venue à bout du régime du colonel Kadhafi. Ses craintes se sont vérifiées puisque les Etats-Unis, son principal allié au monde dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, semblent s'inquiéter, eux aussi, de la possible accession au pouvoir du courant salafiste. Mme Hillary Clinton n'a pas omis, à la Conférence des Amis de la Libye, qui s'est tenue jeudi à Paris, de faire part de ses craintes à ce sujet à ses alliés et au Conseil national de transition (CNT). La Secrétaire d'Etat américaine a déclaré attendre des autorités libyennes qu'elles «neutralisent» la présence des extrémistes dans ses rangs. Ces extrémistes, ce ne sont pas seulement ces groupes incontrôlés d´insurgés qui voient dans tous les pauvres immigrés africains des mercenaires à la solde du régime déchu, ou qui ont saccagé l´ambassade d'Algérie, mais ces fondamentalistes djihadistes que l'on ne nomme pas encore comme. Alger comme Washington savent de quoi ils parlent. La réponse à ces craintes est venue d'abord du président du CNT, Mustapha Abdeljalil, lui-même, lorsqu'il avait clairement annoncé la couleur du futur régime politique de la nouvelle Libye, dans la ‘Feuille de route» qu'il avait présentée à Paris. «L'Etat islamique sera l'axe autour duquel s'articuleront les institutions de la future Libye démocratique où la charia sera la source de la jurisprudence», annoncera le chef du CNT. Les émirs du GILL Ce projet d'Etat semble être le résultat d'un rapport de force sur le terrain, après la prise de Tripoli par les insurgés, qui a tourné à l'avantage des djihadistes. En effet, le rôle déterminant joué par les groupes islamistes dans les combats durant ces six derniers mois a octroyé à ces djihadistes un grand pouvoir d'influence, à la mesure de la nouvelle configuration du rapport de force politique en Libye où le pouvoir a été réparti entre les milices les plus agissantes. Les plus puissantes de ces milices sont celles qui sont venues de Misrata, de Zintane ou de Djefren, les localités qui ont le plus résisté aux bombardements de l'armée de Kadhafi. Ce sont elles qui contrôlent, aujourd'hui, les plus importants secteurs de la capitale. Elles sont parvenues à placer leur leader, le djihadiste Abdoul Hakim Belhak, l'ancien émir du Groupe islamique libyen de lutte, à la tête du commandement militaire de Tripoli. Les «alliés» occidentaux, plus motivés par le partage du gâteau de la «reconstruction» et des richesses pétrolières du pays maghrébin, ne se préoccupent pas de ce gros détail, en continuant ce faisant comme si ces islamistes radicaux étaient des insurgés comme les autres Un sujet tabou Il s'agit, pourtant, de djihadistes qui se sont montrés hostiles à l'envoi de Casques bleus au pays pour superviser le processus de transition. Ce sont ces islamistes qui ont exprimé et imposé leur désaccord sur le déploiement militaire de l'ONU ou de toute autre organisation dans leur pays, comme ils voient d´un mauvais œil la future mission de l'ONU qui aura pour tâche, selon le conseiller de l'organisme pour la planification post-conflit, Ian Martin, «d´aider les nouvelles autorités à développer un processus de transition vers la démocratie». «Ces dizaines de milices, qui ont pris part au djihad face à l'Union soviétiques en Afghanistan, ont joué un rôle déterminant sur le front», a reconnu, cette fin de semaine à Tripoli, un responsable rebelle du CNT qui a tenu à garder l'anonymat. Selon cette source, «toute référence aux djihadistes est taboue», pour le moment, les alliés comme la rébellion préfèrent éviter durant cette phase «post-Kadhafi» d´évoquer le facteur islamiste dans la chute du régime libyen. Des anciens de Guantanamo Le nombre d'insurgés avoisinerait les l1000 miliciens, rompus à l´art de la guerre, selon différents sites web spécialisés dans le djihadisme, qui font observer que les commandos fondamentalistes ont été les artisans de la prise de Bab Al-Aziziya, le quartier général de Kadhafi et véritable symbole du régime. A la tête de cette opération qui a abouti à la chute du régime de Tripoli, il y avait Abdoul Hakim Belhhaq, récemment nommé responsable militaire de la province de Tripoli. Il avait à ses côtés d'autres émirs qui ont fait leurs classes en Afghanistan. C´est le cas d'Abdelkarim Al-Gasadi et d'Abou Soufian Bin Qoumou, tous deux originaires de Derna et ex-prisonniers à Guatanamo pour leur supposé lien avec Al Qaïda. Le fait d´avoir fait du coude à coude avec l'OTAN contre Kadhafi n´en fait pas, pour autant, des alliés de la démocratie dans la future Libye, même si certains d´entre eux se veulent rassurants en niant avoir été des membres actifs de Al Qaïda. L´avenir le dira.