Pour sa 10e édition tenue hier à Dely Ibrahim (Alger), les organisateurs du forum Algeria-Invest ont choisi d'aborder le thème de l'économie algérienne, état des lieux et perspectives à très court terme. Une communication a été donnée en ce sens par un conférencier de choix : Abdelhak Lamiri, économiste et directeur général de l'Institut international de management (Insim) . S'exprimant d'abord sur ce qu'il appelle les crises économiques mondiales, M. Lamiri déclare qu'«il se passe quelque chose de très grave» jamais vécu auparavant dans la sphère économique à l'échelle internationale. Les spécialistes, explique-t-il, ont jusqu'ici pu faire face, à travers des mécanismes passés de mode, aux différentes crises qui survenaient à la suite de la récession ou de l'inflation, même quand les deux phénomènes coïncidaient comme c'était le cas en 1974 et en 1982. Cependant, aux anciens phénomènes connus et maîtrisés avec plus ou moment de succès, vient se greffer la crise des dettes souveraines. Des économies performantes, au lieu de faire normalement du surplus à mobiliser au moment des tensions, ont préféré s'endetter et investir, à tel point qu'au moment où ces économies étaient justement en crise, il n'y avait aucune ressource financière à mobiliser afin d'y remédier. C'est le cas des USA et de la Grèce par exemple. Le monde a donc enregistré trois crises à la fois : récession, inflation et dettes souveraines. Une première dans l'histoire ! C'est ainsi que «les économies mondiales se sont retrouvées devant un grave dilemme», annonce le conférencier. Le dilemme s'est présenté en ces termes : pour pouvoir payer ses dettes souveraines, il faut réduire les dépenses publiques ; pour lutter contre la récession, il faut augmenter les dépenses publiques ! Un véritable casse-tête pour les experts du domaine. «La macroéconomie n'a pas de solution aux problèmes que nous connaissons actuellement», confirme le directeur de l'Insim. Pour lui, «la crise va durer» le temps qu'on trouve de nouveaux mécanismes de régulation publique de l'économie. Il faut d'abord réformer l'Etat L'invité du forum Algeria-Invest soutient que ces crises économiques mondiales (récession, inflation, dettes souveraines) présentent des risques majeurs aux économies comme la nôtre. L'Algérie pourra être atteinte à travers le mécanisme traditionnel que sont les fluctuations des prix de pétrole. Si la récession perdure, les prix de l'or noir vont nécessairement baisser. Comme l'économie algérienne est rentière, tirant la quasi-totalité de ses ressources des hydrocarbures, les effets d'un tel bouleversement seront immédiats. Selon M. Lamiri, les experts du gouvernement ont réfléchi et ont interprété cette crise internationale comme l'incapacité du secteur économique privé à se développer. «Cette interprétation est rare dans le monde», ironise-t-il, sachant que partout ailleurs, on a diagnostiqué une dérégulation de l'économique qui a besoin de nouveaux mécanismes de gestion. Après le diagnostic, vient la thérapie. A «l'incapacité du secteur privé de se développer», les experts du gouvernement ont recommandé «la relance du secteur public économique». Plusieurs plans d'aide à la relance, mobilisant au total 500 milliards de dollars, ont été appliqués ces dix dernières années. «On commence à avoir une évaluation. Les experts du gouvernement disent : «on est en train de réussir», indique le conférencier. Ces experts fondent leur jugement sur un certain nombre de paramètres. Officiellement, le taux de développement est de 5,8% actuellement, contre 0 à 1% avant 2000 ; l'inflation est à moins de 3% ; le chômage a baissé de 25% à moins de 10% ; les réserves de change sont de 174 milliards de dollars et le pays n'a plus de dettes publiques extérieures. «Les experts du gouvernement disent que le développement est une question de temps. Je ne suis pas de ceux qui partagent cet avis», affirme l'économiste. Pour lui, l'économie algérienne reste extensive du fait de l'injection des ressources de la rente. De plus, 1% de richesse doit produire, en situation normale, 3% de développement. Or, l'Algérie mobilise 30% du PIB (produit intérieur brut) pour 6% de développement. Il trouve également qu'il y a un déficit en matière de création d'entreprises et celles qui existent ne fonctionnent pas au maximum de leurs capacités. Résultat des courses : tout reste à faire. D'après lui, les experts du gouvernement ont commis «des erreurs d'amateurs». Ils ont commis une erreur de diagnostic et par là une erreur de thérapie. L'erreur la plus stratégique, insiste-t-il, consiste en la négligence du développement humain dans les différents plans de relance mis en place. «Il faut préparer le terrain pour que les nouveaux plans et les nouvelles décisions ne tombent pas dans les mêmes erreurs», recommande-t-il. L'état des lieux est donc peu reluisant. A l'opposé des tendances mondiales qui vont vers le développement l'économie locale, en Algérie, le secteur «est trop centralisé. Pis, en Algérie, on est organisé pour ne pas se développer». Les perspectives ? L'orateur trouve qu'«on est à la croisée des chemins : après avoir investi massivement, nous disposons de quelques infrastructures mais toujours pas de développement réel». Deux scénarios sont envisageables, selon lui. Le premier, c'est la continuité. Continuer à injecter les ressources des hydrocarbures dans l'économie. «On peut le faire pendant quelques années encore», soutient-il, tant que les prix du pétrole restent élevés. Mais leur chute va provoquer une crise aux conséquences dévastatrices. Le deuxième scénario est «une politique économique rénovée». Il s'agit de copier ce qui est copiable à travers la réorganisation de l'Etat, l'investissement massif dans le développement humain et la modernisation des institutions et du management d'entreprise. Même s'il faut s'attendre à une transition difficile pendant deux à trois ans, ce scénario permet en substance d'avoir une croissance annuelle à deux chiffres et une baisse durable du chômage. «Si on ne devient pas un dragon économique, c'est à cause de notre politique économique qui est profondément mauvaise», tranche le conférencier pour qui «l'économie est prisonnière de la sphère politique quand les rôles ne sont pas clairement définis». Autrement dit : il faut d'abord réorganiser l'Etat.