Le Maroc a multiplié, ces derniers temps, les gestes d´amabilité envers le Parti Populaire (PP) qui est crédité, par tous les sondages d´opinion, d'une victoire sans appel sur le Parti Socialiste (PSOE) de José Luis Zapatero, aux élections générales de demain. «L´homme qui hait le Maroc !» Ce scrutin permettra de désigner à la fois le Congrès des députés, le Sénat et le futur président du gouvernement, qui sera, sauf miracle de dernière seconde, Mariano Rajoy, le leader de l'opposition conservatrice représentée par le PP. Depuis que la nette tendance à la victoire du PP a commencé à se dessiner, l'écart de ce parti sur le PSOE était de 17 points au dernier sondage. Le roi Mohamed VI a entrepris alors de faire la cour à Mariano Rajoy. En septembre dernier, Rabat avait délégué son ministre de la Présidence aux assises du PP à Malaga, où les invités avaient à peine rang d´ambassadeurs. Les déclarations officielles d´hostilité au PP ont progressivement disparu depuis environ une année du langage officiel et la presse ne vilipende plus les dirigeants de ce parti comme elle le faisait chaque fois qu´ils dénonçaient les violations des droits de l'homme au Sahara occidental ou plaidaient pour le référendum dans cette ancienne colonie espagnole. Ce que les socialistes espagnols n´ont jamais fait, leur position sur le Sahara étant alignée sur celle de la France. En 2010, des milliers de personnes, à leur tête une dizaine de partis politiques conduits par le Premier ministre Abbas el Fassi, avaient manifesté contre la brutale prise d´assaut du camp de toile de Gdeim Izik, aux abords d'Al Ayoune. Une dizaine d´années auparavant, un journal marocain titrait en grandes manchettes sur «l'homme qui hait le Maroc». C´était le jour même de la visite officielle à Rabat de l´ancien président du gouvernement espagnol José Maria Aznar. Le conflit de Perejil Pendant toute une décennie, les Marocains en ont voulu au gouvernement du PP depuis qu'il avait bloqué à Bruxelles l´initiative de Jacques Chirac en vue d'une position commune de l'Union européenne sur la question du Sahara occidental plus inclinée dans le sens des thèses franco-marocaines. Rabat avait aussitôt décidé de rappeler en consultation son ambassadeur à Madrid, Abdesslam Barakat. Le roi Mohamed VI tiendra des propos peu diplomatiques, aux limites de l'injure, au chef de la diplomatie du gouvernement d´Aznar, Josep Piqué. Soumis aux pressions d´une opposition radicale dont le leader n´était alors que Abbas El Fassi, le souverain laissera planer l'idée d´une «marche verte» sur Ceuta et Melilla. En envoyant un groupe de gendarmes en bivouac sur le rocher de Perejil, en litige entre Rabat et Madrid, il avait l´idée peu inspirée de tester l´éventuelle réaction de l´Espagne à une telle initiative. Ce rocher à l´abandon n´avait pourtant plus aucune importance stratégique depuis deux siècles. La réaction de l'Espagne ne se fait pas attendre. Aznar qui a vite saisi les intentions de Mohamed VI envoie sur place une unité amphibie pour déloger le groupe de gendarmes qui n'opposera aucune résistance. C´est une grande humiliation pour le jeune roi qui venait à peine d´être intrônisé.
Le rapprochement d´Alger C´est en pleine période de cette crise de Pérejil, en juillet 2002, qu'une forte délégation de l'opposition socialiste, conduite par José Luis Zapatero, dont faisaient partie les poids lourds du lobby pro-marocain, entre autres l´actuelle ministre des Affaires étrangères Trinidad Jimenez, se rend à Rabat pour engager une médiation. C´est l´indignation au sein du PP qui dénonce l´impair diplomatique des socialistes, une démarche qui a conduit à la rupture du tacite pacte d´Etat en matière de diplomatie. Le Maroc a donc de bonnes raisons de craindre l´arrivée du PP au pouvoir. Le président Aznar n'est-il pas l´artisan de l'Accord d´amitié, de bon voisinage et de coopération signé avec l´Algérie, en 2002 ? Aznar fut le premier président d´un pays occidental à se rendre en Algérie après la décennie noire. C´est lui qui a invité le président Bouteflika au Forum de Formentor (Palma), au début de son premier mandat, et c´est encore lui qui est à l´origine du projet de Medgaz reliant directement l´Espagne à l´Algérie sans passer par le Maroc. Une fois au pouvoir en 2004, le gouvernement socialiste retardera la mise en œuvre de ce projet que seule la crise du gaz entre la Russie et l´Ukraine déclassera. La question du Sahara Ce sont beaucoup de raisons qui ont conduit José Luis Zapatero, fraîchement élu en mars 2004, à vouloir, selon sa propre expression, «rééquilibrer les relations de l´Espagne avec les pays du Maghreb». Son ministre des Affaires étrangères d'alors, Miguel Angel Moratinos, œuvrera à faire bloquer le «Plan Baker» et suggérera à Rabat de lancer son plan d´autonomie sur le Sahara Occidental, inspiré du modèle des autonomies en Espagne. Moratinos a conduit le processus diplomatique sur la décolonisation du Sahara vers l´impasse. L´Espagne n´est pas membre du Conseil de sécurité mais sa voix est écoutée en tant qu´ancienne puissance coloniale du territoire sahraoui. Conscient de la victoire inévitable du PP en Espagne et de la déroute programmée de la droite française aux élections de 2012, le Maroc a pris les devants en se faisant élire comme membre non permanent au Conseil de sécurité, pour la période 2012/2013. Officiellement, selon les arguments de son ministre des Affaires étrangères, Fassi Fihri, «Rabat entend contribuer à la paix et à la sécurité dans le monde». Son objectif, en réalité, est essentiellement de manœuvrer pour maintenir depuis cette position de force, le statu quo et le fait accompli sur le Sahara occidental. La tradition de la «première visite à Rabat» Les socialistes français feront-ils la politique de Chirac sur le Sahara ? Les conservateurs espagnols, eux, ont déjà fait savoir qu´ils retourneront à la position traditionnelle de l´Espagne sur son ancienne colonie : le soutien à une solution négociée dans le respect du référendum d´autodétermination dans le cadre de l´ONU. Un indice qui inquiète le Maroc : pour la première fois, il est certain qu´un président de gouvernement espagnol ne réservera pas sa première visite officielle au Maroc. Mariano Rajoy a laissé entendre qu´il dérogera à cette vielle tradition instaurée par le chef du lobby pro-marocain, l´ancien président du gouvernement socialiste Felipe Gonzales.