Le quotidien El Pais a révélé hier que le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Luis García-Margallo, a effectué la veille une brève visite secrète à Bamako dans l'espoir de relancer sur place les contacts pour obtenir la libération des deux otages espagnols, Eric Gonyalons et Ainoa Fernandez de Lincon. Cette visite rappelle celle que son ex-homologue français Bernard Kouchner avait effectuée tout aussi secrètement, le 14 décembre 2009, dans la capitale malienne où il était allé négocier la libération de deux Français aux mains d'Aqmi, en échange de la remise en liberté de quatre dangereux salafistes, dont deux Algériens. Les deux volontaires espagnols qui appartiennent à une organisation humanitaire pro-sahraouie avaient été enlevés le 23 octobre dernier sur leur lieu de résidence dans les camps de réfugiés de Tindouf, en même temps que la ressortissante italienne, Rossella Urru. Quelques semaines plus tard, leur enlèvement avait été revendiqué par un groupe armé dissident d'Al Qaïda au Maghreb Islamique, dénommé Unification du Djihad en Afrique de l'Ouest (UDAO), encore inconnu à l'époque. Sitôt la nouvelle de la libération de l'Italienne connue, le chef de la diplomatie espagnole s'était donc immédiatement envolé pour la capitale malienne où il a été reçu par le président Amadou Toumani Touré avant de s'entretenir avec son homologue malien Soumeytou Boubeye Maiga. Il était précédé de l'émissaire du gouvernement italien, Mme Margherita Boniver. Des sources diplomatiques à Madrid avaient déclaré samedi soir avoir bon espoir de «s'attendre à de bonnes nouvelles», laissant même entendre que la remise en liberté des deux Espagnols serait une question d'heures.
Une rançon de 10 millions d'euros par otage Depuis, les spéculations sont allées bon train. Libération ou non des otages, la question qui est revenue dans les commentaires de presse tourne bien évidemment sur le prix payé à cette fin. Par les gouvernements des pays d'origine ? Par des intermédiaires agissant pour le compte de ces gouvernements ? Ce prix serait estimé pour le moment à 10 millions d'euros par otage, une somme jamais réclamée jusque-là, et qui représente le double de la rançon que la France, l'Espagne ou l'Italie avaient versée auparavant, directement ou indirectement en 2009 puis en 2010 pour obtenir la libération de leurs ressortissants séquestrés alors dans le nord du Mali. Outre ces sommes d'argent, Paris et Madrid avaient satisfait une condition supplémentaire posée par les ravisseurs : la libération de prisonniers salafistes incarcérés à Bamako et à Nouakchott.
Le CNI installe ses propres canaux au Sahel Ces dernières années, l'Espagne a renforcé sa présence diplomatique et consulaire au Sahel, en particulier au Mali où, avec l'aide de leurs collègues français qui ont pied dans la région, les services secrets espagnols du Centre National d'Investigation (CNI) ont mis en place leurs propres canaux de communication avec les preneurs d'otages. En 2009, ces mêmes services de renseignements avaient ainsi sollicité la médiation du conseiller spécial du président du Burkina Fasso, un ressortissant mauritanien répondant au nom de Mustapha Chafi, un parfait connaisseur du nord du Mali, lieu de séquestration des ressortissants occidentaux. Ce qui n'est plus le cas, à la différence que, cette fois, la mission des agents du CNI a été encore plus difficile à cause des affrontements qui opposent, depuis le mois de janvier dans le nord du Mali, les forces gouvernementales à la rébellion targuie du Mouvement national de libération des Azawates (MNLA) qui s'est approvisionné en armes de guerre sophistiquées depuis la Libye. La presse à grand tirage, à sa tête El Mundo, surveille de près les conditions dans lesquelles est intervenue la mission engagée par M.García-Margallo au Mali où le chef de la diplomatie espagnole est allé solliciter l'aide des autorités libyennes. Ce journal, proche du gouvernement du Parti populaire présidé par M.Mariano Rajoy, est le premier à révéler que l'ancien gouvernement socialiste de l'ex-président Zapatero avait payé pour obtenir la libération des trois otages catalans enlevés en 2009 en Mauritanie, ce que Madrid n'avait jamais reconnu officiellement. Dans l'opposition jusqu'en décembre 2011, le Parti populaire avait toujours dénoncé le recours aux «paiements des rançons qui sont devenues la principale source de financement du terrorisme au Sahel et au Maghreb». Un argument qui confortait le gouvernement algérien dans ses démarches diplomatiques à New York pour faire adopter une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU criminalisant le paiement des rançons par les gouvernements occidentaux. Cet argument peut être retourné aujourd'hui contre le gouvernement Rajoy s'il se confirme qu'il a payé à son tour en cédant aux conditions posées par les ravisseurs.