Docteur d'Etat en immunologie et actuel président élu à l'issue d'un congrès électif de Jil Djadid, Soufiane Djilali livre ses impressions sur l'actuelle scène politique et révèle les ambitions et aspirations du parti qu'il dirige, tout en précisant que la participation de son parti aux élections «est tributaire du délai relatif à la délivrance d'un agrément». Le Temps d'Algérie : Que représente Jil Djadid ? Soufiane Djilali : Jil Djadid représente aujourd'hui une tentative de mettre en connexion une nouvelle intelligentsia dans le pays au sens d'une élite intellectuelle qui réfléchit en patriote et qui a envie de renverser la vapeur dans un pays à la dérive où on constate une forme de désagrégation et une perte de repères. On veut créer un parti politique ancré dans un courant de pensées endogènes à la nation algérienne et qui portent en elles des valeurs patriotiques, mais qui soient totalement ouvertes sur ce qui se passe dans le monde pour pouvoir nous frayer une place dans cette scène mondiale où les enjeux deviennent terriblement difficiles et où les faibles n'ont plus de place. Jil Djadid est né il y a une année et constitué il y a quelques jours. Quelles en sont les fondamentaux, voire les axes importants de son programme ? Il n'y a pas un axe principal, mais du point de vue programme, nous estimons qu'après la génération de novembre qui a eu le grand honneur de libérer le pays du joug colonial et de rétablir sa souveraineté sur son territoire, notre génération doit continuer à œuvrer dans la continuité à dessein essentiel de construire un Etat de droit où la règle devient prédominante pour régler les conflits et où chaque citoyen algérien se sente partenaire et associé. Autrement dit, que les Algériens deviennent actionnaires dans leur propre pays. Il ne faut plus que des Algériens soient au-dessus des autres. Nous ne voulons plus être égaux de cette manière et encore moins de la même manière que celle à laquelle faisait allusion Georges Orwell qui disait «nous sommes égaux mais certains sont plus égaux que d'autres». Nous voulons être égaux d'une manière équitable et seule la loi peut faire la différence. Il conviendra que chacun obtienne son droit tout en accomplissant ses devoirs envers le pays. L'œuvre que notre génération veut entreprendre et concrétiser est destinée au pays et non exclusivement au parti et elle consiste en la construction d'un Etat de droit. Néanmoins, cette construction ne peut se faire qu'au travers d'un processus démocratique clair, net et transparent, et où il y a des mécanismes modernes de gestion de la société avec des possibilités d'alternance et avec une démocratie qui tienne compte de nos valeurs en tant que société. Il ne s'agira pas d'importer des modèles de l'étranger mais simplement de trouver et de canaliser toute l'énergie existante pour construire cette vision dont les valeurs ancestrales sont véhiculées par une société à l'origine berbère et qui a été arabisée par l'islam qui est en soit une valeur extrêmement importante. Il faut trouver les ressources de la démocratie et de l'Etat de droit dans l'islam. Djilali Soufiane qui n'est pas étranger à la scène politique puisqu'il a activé au sein d'un ancien parti politique peut-il nous faire part de sa lecture de la scène politique actuelle ? La scène politique est en pleine effervescence. Cela fait maintenant plus d'une décade que le champ politique est totalement verrouillé et la classe politique régnante est obsolète, sclérosée et n'a plus rien à proposer. Une grande frange de la population est entrée en dissidence du fait qu'elle en a ras-le-bol des gens qui nous gouvernent et il faut donc un renouveau profond. C'est normal que ça va dans tous les sens maintenant que, sous la pression interne et externe, le pouvoir consent à une ouverture et il est tout à fait normal qu'il y ait une certaine effervescence politique. Mais nous pensons qu'après 3 ou 4 années, la scène politique va entrer dans une phase plus calme et plus tranquille tant il est vrai qu'il y aura une décantation. Pour l'instant on ne peut pas exiger de la nouvelle génération et des nouvelles formations politiques de réaliser ce qui n'a pas été fait depuis 50 ans par ceux qui tiennent encore les rennes du pouvoir. Quel regard portez-vous sur les prochaines élections ? Il faut bien prendre conscience que l'Algérie a mis le pied dans une nouvelle ère. C'est une nouvelle phase d'ouverture et cela est très important. Il y a une prise de conscience au plus haut niveau et sans une véritable démocratie et un début d'ouverture politique et des activités libres, il ne peut pas y avoir d'issue à la crise algérienne qui est chronique, latente et qui peut soudainement s'enfiévrer. Maintenant qu'il y a des élections, c'est bien mais il ne faut pas trop attendre de ces élections car la grande majorité de la population a été échaudée à plusieurs reprises. Si un véritable changement venait à s'installer progressivement, la population, essentiellement la jeunesse, reviendrait à l'acte politique. Donc les élections législatives sont un passage important et intéressant mais loin d'être vital et crucial comme se plaisent à le dire certains. Il ne faut pas s'attendre à un miracle, mais c'est un début. Il y aura d'autres rendez-vous, les municipales et les wilayales qui ne sont pas de moindre importance et il faudra s'attaquer aux amendements constitutionnels qui conduiront à un rééquilibrage des pouvoirs donc à une limitation des mandats présidentiels, un rééquilibrage en faveur du gouvernement avec probablement un renforcement du parlement ne serait-ce que du fait de faire sortir un chef du gouvernement d'une majorité parlementaire, qu'elle soit d'un seul parti ou d'une coalition. Donc, après les rendez-vous électoraux, il nous restera l'élection présidentielle à terme ou un peu avant. Il y aura un nouveau président de la république qui devra très probablement réclamer de nouveau une majorité parlementaire parce qu'il faut s'attendre à ce qu'en mai, il y ait une assemblée mosaïque qui n'aura aucune majorité, sauf une petite majorité de coalition très hétéroclite et donc très fragile et qui ne pourra pas proposer un véritable gouvernement. Donc, on peut imaginer qu'après l'élection de mai, le président de la république désignera un gouvernement technocrate par exemple, parce que les partis en assemblée ne seront pas en mesure de former un véritable gouvernement et qu'on évoluera dans cette situation durant quelques années de transition qui permettront l'élection d'un nouveau président. Croyez-vous qu'il y aura des abstentions ? Il y aura une forte abstention. Il y aura probablement un plus fort taux de participation que le scrutin législatif passé au vu de la nouvelle ouverture, de la naissance de nouveaux partis politiques, des engagements incessants des pouvoirs publics qui font leur mea culpa. Sur ce volet, il faut souligner que les pouvoirs publics ont reconnu on ne peut plus clairement, par le biais du président, que tous les scrutins passés ont été frelatés et ce n'est pas l'opposition qui l'a affirmé. Espérons que le taux d'abstention diminue de scrutin en scrutin. Il ne faut pas s'attendre à ce que 70% des algériens aillent voter en mai car on aura des doutes, sachant que la population connaît et vit une situation difficile découlant en partie de l'insupportable inflation qui s'est installée et qui n'arrange pas les choses. Il faut croire que les algériens aiment leur pays et veulent le construire, ils ont de l'énergie, des idées, de l'espoir, mais ils sont bloqués par un pouvoir sclérosé. Où se situe Jil Djadid dans tout ce magma politique ? Il est en phase de construire un parti politique moderne, rationnel, qui fonctionne non pas en dehors de la société mais de l'intérieur. Le parti est né des profondeurs du pays et nous voulons construire loin de toutes illusions. Nous ne sommes pas pressés et ne courons pas derrière les sièges mais on veut envoyer des messages sérieux et vrais à la population à travers des candidats compétents qui ont quelque chose à apporter, et même s'ils ne sont pas choisis, nous accepterons les résultats des urnes. Nous laisserons, j'espère, une image d'un parti en pleine évolution et qui a des choses à dire et à faire. Jil Djadid compte-il entrer en lice ? Nous nous engagerons dans ces élections, mais encore faudrait-il que nous puissions récupérer notre agrément. Dans votre discours, vous avez dit que l'islam est un élément identitaire et, dans un autre passage, un argument de division et d'exclusion idéologique et politique. pourriez-vous nous éclairer ? J'affirme qu'aujourd'hui l'islam est vécu comme une dimension spirituelle et beaucoup moins comme un argument politique pour exclure ou s'exclure mutuellement. En 1990, des partis ont utilisé l'islam pour en faire un emblème afin de se permettre de parler au nom de Dieu, comme s'ils étaient des messagers, pour exclure des citoyens qui ne partageaient pas leurs idées. Aujourd'hui, l'islam ne doit, en aucune manière, servir de moyen politique pour accéder au pouvoir. Nous sommes convaincus qu'il est impératif de dissocier la religion de la politique. Un dernier mot ? J'espère que les Algériens comprendront qu'il faut en finir avec le nihilisme et accepter de prendre des risques. Nous sommes conscients que les Algériens mettent tous les partis dans un même sac en pensant que ce sont des prédateurs comme les autres qui veulent s'engraisser sur le dos de la population. Il faut que l'Algérie donne naissance à de véritables patriotes. Nous voulons incarner cette idée et j'espère que d'autres partis naîtront avec la même disposition d'esprit et qu'ensemble, la main dans la main, nous construirons notre Algérie loin de toutes les idéologies qui ont tellement fait de mal à l'Algérie.